Tapie : bientôt une enquête sur Lagarde ?
Dan Israel - - 0 commentairesLa pression judiciaire ne cesse de s'accroître pour Bernard Tapie, et Christine Lagarde.
Jean-Louis Nadal, procureur général de la Cour de cassation, numéro deux de la hiérarchie judiciaire française, a demandé aujourd'hui l'ouverture d'une enquête pour "abus d'autorité" contre la ministre de l'Economie à la Cour de justice de la République (CJR). Elle concerne l'attribution à Bernard Tapie en 2008 de 285 millions d'euros de fonds publics, dans le cadre l'affaire Adidas. Un "tribunal arbitral" privé avait reconnu le préjudice moral et financier de l'homme d'affaires dans la vente d'Adidas en 1993, qui avait rapporté une plus-value substantielle au Crédit Lyonnais. Comme nous l'avions longuement détaillé, l'Etat avait été condamné à verser à Tapie les 285 millions d'euros d'indemnités (400 millions avec les intérêts), dont 45 millions pour préjudice moral. |
Mais selon plusieurs journalistes, l'accord, très favorable à Tapie, pourrait avoir été piloté depuis l'Elysée. Le Canard Enchaîné avait par exemple été clair : alors que les avocats du consortium gérant les dettes de Tapie s'apprêtaient à aller en justice, avec de bonnes chances de gagner dans le conflit les opposant à Tapie, ils avaient reçu en 2007 "dès l'élection de Sarko à l'Elysée, l'ordre" d'abandonner la voie judiciaire classique. Et fin 2007, Lagarde avait ordonné la désignation de trois juges-arbitres.
Nadal, qui est proche de la retraite, a souligné aujourd'hui dans un communiqué les "nombreux motifs"permettant de douter de "la régularité, voire de la légalité du règlement arbitral litigieux". La décision de Nadal fait suite à un courrier de neuf députés socialistes début avril, lui demandant de saisir la CJR. Ils s'appuyaient sur un rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale (dirigée par le socialiste Jérôme Cahuzac), très critique contre Lagarde et Tapie. En mars déjà, sur les mêmes motifs et en affichant les mêmes doutes, la Cour des comptes avait saisi la Cour de discipline budgétaire et financière, chargée de sanctionner les fautes lourdes commises par les agents de l'Etat dans la gestion des finances publiques.
Et ce n'est pas tout : hier, Le Figaro révélait que le Conseil d'Etat n'excluait pas de se pencher, lui aussi, sur ce dossier brûlant. Lors d'une réunion de "tri" de ses dossiers, le Conseil d'État a décidé de prendre en compte le recours en cassation du député Nouveau centre Charles de Courson, qui conteste le principe de l'arbitrage. Courson est aussi administrateur de l'EPFR, l'établissement public chargé de gérer l'ensemble des dettes restantes du Crédit lyonnais. Pas sûr que sa procédure aboutisse, mais elle n'a pas été rejetée.
Concernant la CJR, la commission des requêtes de la Cour, composée de trois magistrats, devrait se prononcer d'ici un mois sur la recevabilité de la demande de Nadal. Si elle est validée, le procureur général saisira la commission d'instruction de la CJR, qui mènera ses investigations, avant l'organisation éventuelle d'un procès.
Lagarde "indignée personnellement"
"C'est une étape normale de la procédure, a immédiatement réagi l'entourage de la ministre. Elle va permettre à Mme Lagarde de produire à nouveau toutes les informations en sa possession et de démontrer l'absence de fondement de ce dossier". Quelques heures plus tard, la ministre s'est exprimée lors d'une conférence de presse. "J'ai tout effectué, toujours en totale transparence, je tiens à la disposition du procureur général tout ce qui est en ma possession", a-t-elle déclaré. Elle s'est dit "parfaitement sereine en face d'accusations sans aucun fondement, fausses et sans preuves", mais aussi "indignée personnellement par le processus".
Bernard Tapie, lui, estime qu'une éventuelle enquête sur Christine Lagarde ne changera rien à la procédure. "Je vous confirme [...] que toutes ces gesticulations n'ont pas le pouvoir d'inverser le cours de la décision, qui est un arbitrage en droit en dernier ressort. Qu'on arrête ces fantasmes!", a-t-il déclaré à l'AFP.