Soudan du Sud / NYT : non, le vice-président n'avait pas signé
Justine Brabant - - Intox & infaux - Silences & censures - 0 commentairesLe New York Times a publié, le 7 juin, une tribune cosignée par le président du Soudan du Sud Salva Kiir et par son vice-président Riek Machar. Les deux hommes (par ailleurs rivaux) y disent leur souhait de créer une commission vérité et réconciliation pour mettre fin à plusieurs années de guerre civile dans leur pays. Problème de taille : le vice-président affirme ne jamais avoir lu - et encore moins signé - le texte.
Cela ressemblait à un rapprochement politique d'importance. Le 7 juin, le New York Timespubliait sur son site une tribune co-signée du président du Soudan du Sud Salva Kiir et de son vice-président Riek Machar. Un texte historique : la rivalité entre les deux hommes est l'un des moteurs du conflit qui déchire, depuis 2013, la jeune république du Soudan du Sud. Dans les colonnes du quotidien américain, ils écrivaient de concert: "Nous nous engageons à faire en sorte que notre pays ne traverse plus jamais une guerre civile. (…) Même avec nos différences – en fait, à cause d’elles – nous sommes déterminés à réconcilier nos communautés et à créer l’unité."
La voie vers la paix et l'unité? Il n'y en a qu'une seule, ajoutaient les deux dirigeants: "un processus de paix et de réconciliation appuyé par la communauté internationale", qui supposerait la création d'une "commission vérité et réconciliation" sur le modèle sud-africain ou nord-irlandais. Dans le cadre des travaux de cette commission, "ceux qui disent la vérité sur ce qu'ils ont vu ou fait seraient amnistiés".
"Le Soudan du Sud a besoin de la vérité, pas de tribunaux", titre de la tribune signée Kiir et Machar
Une solution préférable à l'organisation de procès chargés de juger les personnes accusées de crime de guerre (procès pourtant prévus par un accord de paix signé en août 2015 par les deux hommes), estiment Kiir et Machar, toujours dans le New York Times: "Contrairement à la réconciliation, la justice disciplinaire – même rendue par le droit international – déstabiliserait les efforts pour unir notre nation, en gardant en vie la colère et la haine parmi le peuple du Soudan du Sud."
Le vice-président n'a jamais lu la tribune qu'il a "signée"
Mais l'accord entre les deux rivaux était trop parfait pour être vrai. Le lendemain de la publication de la tribune, le porte-parole du vice-président Machar affirme dans une série de communiqués publiés sur Facebook que ce dernier n'a jamais signé pareil texte - qualifié d'"irresponsable et falsifié".
Le New York Times se serait-il laissé abuser ? Le "fail" se précise lorsque, le 9 juin, le magazine Foreign Policy (spécialisé dans la politique étrangère américaine et les relations internationales) publie un article sur l'affaire. Un proche conseiller de Machar, Reath Muoch Tang, y assure à son tour que le vice-président n'a "pas écrit, ni même lu avant publication" la tribune du New York Times.
Foreign Policy ajoute que la signature par Machar d'un tel texte avait de quoi étonner. Quelques semaines plus tôt, le vice-président avait en effet avait accordé un entretien au magazine, où sa position était sensiblement différente: "Après avoir accusé le gouvernement Kiir d'avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, l'ancien rebelle [Machar] avait expliqué qu'il n'hésiterait pas à se présenter face à des procureurs internationaux, et qu'il se présenterait si il était appelé devant la Cour internationale de justice", rappelle Foreign Policy. Une position à l'opposé de l'argument développé dans le texte publié par le New York Times, donc.
Le journal a depuis ajouté un avertissement au début de la tribune, indiquant à ses lecteurs que le vice-président avait désavoué son contenu mais que le porte-parole du président, lui, "maintenait que le vice-président avait été consulté avant l'écriture du texte."
"Nous aurions dû chercher à recueillir une confirmation directe"
Comment expliquer que le NYT ait pu se tromper? "Ce texte nous est parvenu via des représentants du gouvernement du Soudan du Sud, avec l'assurance qu'ils travaillaient à la fois pour le compte du président Kiir et du vice-président Machar, assure la porte-parole du quotidien, Eileen Murphy (interrogée elle aussi par Foreign Policy). Nous apprenons aujourd'hui que le vice-président Machar est en désaccord avec le contenu de cette tribune. Nous aurions dû chercher à recueillir une confirmation directe par les deux parties des propos tenus dans l'article", poursuit-elle.
Les médias français qui avaient repris et cité la tribune, n'avaient pas, le 13 juin, mis à jour leurs articles afin d'avertir leurs lecteurs du problème posé par le texte. Le site du Mondeexpliquait ainsi toujours : "dans une tribune du New York Times, le président sud-soudanais et son vice-président annoncent vouloir créer une commission «vérité et réconciliation»". Quant à celui de TV5 Monde, il titrait toujours : "Soudan du Sud : Kiir et Machar veulent la réconciliation mais pas de procès."