Snowden a "du sang sur les mains" : comment évaluer un scoop Murdoch ?

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Cette fois, on le tient. Snowden a "du sang sur les mains".

C'est le Sunday Times qui l'a écrit ce week-end. Que s'est-il passé ? Les Chinois et les Russes auraient hacké les documents emportés avec lui par Snowden, obligeant le MI6 britannique à exfiltrer certains de ses agents de territoires hostiles, pour ne pas les mettre en danger. Qui le dit ? Des sources anonymes à Downing Street , au ministère de l'Intérieur britannique, et dans les services de sécurité. Du "sang sur les mains", donc, même si, de l'aveu même de l'entourage de David Cameron, "on n'a pas de preuve que quiconque ait été blessé". Nuance qui a échappé à la presse mondiale, laquelle, pendant le week-end, a paresseusement repris le Sunday Times, faisant passer ses informations anonymes pour une accusation officielle britannique, comme par exemple dans ce titre du site du Monde.

La riposte n'a pas tardé. Dans un long article de son site, The Intercept, Glenn Greenwald, journaliste au Guardian et chef de file des amis de Snowden, démonte l'article du journal Murdoch, en ironisant lourdement sur le caractère "anonyme" de ses sources. Comme le rappelle The Intercept, l'accusation de trahison est un grand classique des Etats contre les lanceurs d'alerte. Dans les années 70, l'administration Nixon avait aussi glissé aux journalistes que Daniel Eelsberg avait offert les "papiers du Pentagone" aux Soviétiques.

Face à cette bataille d'intox, comme face à tout article d'investigation touchant au Renseignement, le lecteur est démuni, perdu dans les intox et les contre-intox, forcé de croire qui il souhaite croire, ou personne. N'en déplaise à Greenwald, ce n'est pas forcément parce qu'une information est "off" qu'elle est forcément fausse. Pour savoir à quelle version accorder sa confiance, ne reste qu'une solution : tenter d'observer qui trébuche. En l'occurence, l'accusation du Sunday Times ne peut être crédible que dans l'hypothèse où Snowden, en quittant Hong Kong, aurait emporté avec lui certains de ses documents, ce qu'il a toujours démenti avoir fait. Faux ! croyait savoir le Sunday Times, qui, dans une première version, avait assuré que "David Miranda, compagnon du journaliste Glenn Greenwald, a été intercepté à Heathrow en 2013 en possession de 58 000 documents ultra-secrets, après avoir rendu visite à Snowden à Moscou." CQFD : si Miranda avait des documents après avoir rendu visite à Snowden, alors c'est que ce dernier les avait emportés avec lui à Moscou. Seul problème, écrit Greenwald : Miranda n'avait nullement rendu visite à Snowden à Moscou. Après parution de la riposte de Greenwald, qu'a fait le Sunday Times ? Simplement retiré, sans aucune indication, le détail Miranda de la version en ligne de son article (mais le bobard demeure dans l'édition papier). Le vieux journalisme a perdu la partie, mais il ne le sait pas encore.

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