SNCF : la grève expliquée à Aphatie

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

"Grévistes jusqu'auboutistes contre gouvernement déterminé"

: ainsi le journal de France Inter annonce-t-il, dans ses titres, la situation au cinquième jour de la grève SNCF. Ce n'est pas un éditorial de Dominique Seux ou de François Lenglet, c'est le titre du journal, un titre censé être neutre, impartial, objectif et tout et tout. Et la radio nationale d'enchaîner sur l'inévitable reportage aux portes d'un centre de passage du bac philo (car le reportage sur le malheureux lycéen privé de bac par les jusqu'auboutistes est venu heureusement renouveler le genre de "l'usager pris en otage"). Pas de chance : les malheureux lycéens ont pris leurs disposition, et se sont faits amener en voiture, constate la reporter sur place. Bref, à 8 heures et deux minutes, aucun hara-kiri à signaler. On imagine la déception.

Combien d'auditeurs auront réagi, tant ils sont habitués à entendre que les grévistes sont "jusqu'auboutistes", et le gouvernement "déterminé" ? Le jour où l'on nous annoncera en titres que des grévistes déterminés s'opposent à un gouvernement jusqu'auboutiste, alors quelque chose aura vraiment changé dans ce pays.

Devant la propagande raffinée de France Inter, celle du brave Aphatie offre une cible presque trop facile. On aurait pourtant tort de la négliger. Elle porte. Au réveil, le matinaute est happé par ce tweet du mutlicartes de RTL et Canal+ :

Vous avez bien lu : les cheminots grévistes sont bêtes, et délicieusement masochistes. S'ils acceptent de perdre des jours de salaire en faisant grève, c'est par plaisir ou par bêtise, vu qu'ils ne comprennent rien eux-mêmes aux raisons de leur grève. On les excuse : cette grève est dûe à de sombres manoeuvres de la CGT, ou même "au score du Front de gauche aux européennes" (assure Philippe Lefébure, de France Inter, habituellement mieux inspiré, d'après un tuyau anonyme).

Ils ont des excuses. Si les voix du matin ne comprennent rien à la grève des cheminots, c'est sans doute parce que Aphatie écoute Lefébure, qui écoute Aphatie. C'est aussi parce que les deux parties (les jusquauboutistes et les déterminés) s'ingénient à brouiller les pistes. Commençons par le gouvernement, qui répète sur toutes les ondes que la réforme va réunifier SNCF (les trains trop larges, vous vous souvenez ?) et RFF (les quais à raboter). C'est à la fois vrai et faux. Comme on le relevait ici, la réforme est une réforme à la Hollande, censée être à la fois digestible par Bruxelles et acceptable par les syndicats, et qui vise à gruger gentiment les deux, avec cette fusion qui fractionne, ou cette division qui fusionne.

Quant aux cheminots grévistes, s'ils mettent en avant la qualité du service public (et parfois de manière concrète et convaincante, voir ici), ils sont généralement plus discrets sur le second motif de leur grève, les craintes pour leurs conditions de travail, et notamment leurs amplitudes horaires, craintes tellement fondées que même un brûlot jusqu'auboutiste antigrève comme cet article de Slate est obligé de les mentionner. "Amplitudes horaires", ça ne vous dit rien, ce n'est que du verbiage technocratique ? Alors lisez simplement ce post de blog d'un cheminot (eh oui, mauvaise nouvelle, il y a des cheminots qui bloguent) et si vous le pouvez, faites-le passer à Aphatie. Même lui ne pourra pas faire semblant de ne pas comprendre.

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