SFR Presse, "machine à tuer le journalisme de qualité" ? (Le Point)

Capucine Truong - - Financement des medias - 0 commentaires

Drahi veut-il "tuer le journalisme de qualité" ? Le directeur du Point, Etienne Gernelle, s’est fendu d’une double attaque en règle contre l’initiative du groupe de Patrick Drahi, SFR, qui propose depuis peu 60 titres de presse en accès numérique avec son offre d’accès internet. SFR Presse lui a répondu par la voix de son directeur, par ailleurs à la tête de L’Express, Guillaume Dubois.


C’est un peu de houle sur la trajectoire du paquebot SFR Presse, dont nous avions suivi, sur @si, la naissance - et les finalités discutables, entre synergie de groupe et optimisation fiscale. Etienne Gernelle, invité au micro de Sonia Devillers, dans l'émission L'instant M (France Inter) le 14 mars, a sévèrement taclé le dispositif proposé par le groupe de télécom de Patrick Drahi : pour lui, "ce système organise le massacre de la presse de qualité". Il a réitéré dans Le Point, le 24 mars. Drahi, martèle-t-il, "estime que la presse et l’info ne valent rien" et "a mis en place une machine à tuer le journalisme de qualité."

L'accusé ? Le pack SFR Presse, créé en avril 2016, qui donne aux abonnés SFR un accès aux éditions numériques de nombreux titres de presse, pouvant aller jusqu'à 65 avec les offres SFR les plus chères. Le prix, on l'a compris, défie la concurrence, voire l'annihile, puisqu'ils sont proposés gratuitement, quoique avec certaines limites selon la formule choisie (Illimité pour les box internet les plus chères, puis Essentiel avec 10 numéros/mois et Accès avec 5 numéros/mois), aux abonnés de SFR. Les autres peuvent avoir accès aux 18 titres de presse du groupe Altice Médias, de SFR, pour 19,99€ par mois.

C'est là le problème, pour le directeur du Point. On a "d’un côté, un abonnement numérique à dix-huit journaux pour 19,99 euros par mois. De l’autre, il offre une box internet à partir de 19,99 euros par mois, avec en prime ce même abonnement à dix-huit journaux. Le calcul est simple: la presse vaut zéro!". A ce prix, explique Gernelle, les journaux ne peuvent être rétribués honnêtement, quand bien même l'intégralité des 19,99 € leur seraient reversés. "Dans la pratique, puisque nous avons nous aussi été démarchés, SFR rémunère les journaux au téléchargement, et ce à une fraction – environ le dixième – de leur prix normal." Contre cette vision de l’information, qu’on braderai à la manière d’une "pochette surprise", Gernelle affirme que Le Point ne rejoindra pas SFR Presse, et défendra la "qualité" de l’information, qui a un coût, contre "l’imagination" des "fake news", qui eux sont effectivement gratuits.

"Qu’est ce qui vous dit que ce n’est pas le téléphone qui est gratuit ?"

SFR a promptement réagi, par la voix de Guillaume Dubois, son directeur, par ailleurs à la tête de l'hebdomadaire L’Express, propriété de SFR. Celui que Le Monde décrivait comme le "protégé de Patrick Drahi" s’est défendu le 23 mars, dans l'Instant M, d'avoir créé avec SFR Presse un "modèle gratuit" d'accès à la presse puisque, explique-t-il, les abonnés payent. "Qu’est ce qui vous dit que ce n’est pas le téléphone qui est gratuit?" Dans cette logique, l'accès internet serait un "goodies" de l'accès presse, et non l'inverse.

Selon lui, SFR Presse permettrait de valoriser les contenus de presse, en les faisant bénéficier de l’immense réseau d’utilisateurs de SFR, évalué à près de 18 millions d’utilisateurs. L’augmentation de l’audience devrait, à terme, compenser le prix payé par l'opérateur aux titres de presse, rémunérés au téléchargement unique. Mais il a tenu à préserver le flou sur ces prix. Ils se chiffreraient autour d'un "rapport de 1 à 2". Très loin, donc du prix avancé par Gernelle, à 1/10 du prix en kiosque. "C’est clair que ce n'est pas le prix du kiosque" a néanmoins admis Dubois. "Mais dans le kiosque, les trois-quarts vont à la distribution, à la production. Ils ne vont pas non plus aux journalistes et au reportage.(…) L’enjeu principal [de SFR Presse] est de reconquérir des lecteurs, et reconquérir au-delà de ceux qu’on a perdu en papier."

Comme nous le racontions ici, SFR pourrait aussi s’intéresser à la presse pour d’autres raisons, notamment l’optimisation fiscale. Devillers l'a remarqué : "Est-ce que c’est de l’optimisation fiscale?" Réponse : "C’est vous qui le dites."

L'occasion de relire les articles de notre dossier Drahi, magnat compulsif ; notre enquête sur la naissance du géant SFR Médias, ou notre analyse du pack SFR Presse au moment de sa création.

Lire sur arretsurimages.net.