Samuel Laurent, faux spécialiste d'Al-Qaeda ? (Libé)
Robin Andraca - - 0 commentairesDans son édition du jour, Libération relève les multiples incohérences qui entourent les ouvrages de Samuel Laurent, "consultant international" régulièrement invité sur les plateaux télé (
ITélé, LCI) ou radio (RTL, RMC) pour évoquer l'Etat islamique ou Al Qaeda.
Samuel Laurent, auteur ou imposteur ? La question se pose après que Libése soit penché sur les deux livres de l'auteur publiés cette année au Seuil, Al-Qaïda en France et L'Etat islamique. Sur les chiffres tout d'abord. Qu'est ce qui permet, par exemple, à l'auteur d'affirmer début décembre sur Canal+, face à Thierry Ardisson, que 2000 Français ont été enrôlés par l'Etat islamique en Irak et en Syrie, alors que le ministère de l'Intérieur estime qu'ils sont moins de 400 ? Ou comment peut-il soutenir que l'EI compte 50 000 combattants, soit 20 000 de plus que l'estimation haute de la CIA ? Selon Laurent, pas de quoi s'inquiéter, ses sources sont "fiables", "très bien informées" et "proches d'Al-Qaeda".
Ce n'est pas l'avis de Libé. Selon le journal, l'auteur puise, pour enrichir le contenu de ses livres, dans des articles de presse, sans toujours les citer. "Ainsi de la partie consacrée à Omar al-Shishani, un Géorgien qualifié à tort de «figure légendaire du jihad», alors qu’il n’avait jamais participé à aucun jihad avant 2012. Le récit de son parcours est largement inspiré, parfois simplement paraphrasé, de Wikipedia et d’un article du Wall Street Journal du 11 juillet", écrit le journaliste. Qui a poussé plus loin l'étude de texte en appelant Abou Maria, présenté comme "émir d'Al-Qaeda" en Syrie dans le livre Al Qaeda en France. Au téléphone, celui qui se fait aussi appeler Mohammed Fizour, dévoile une autre vérité : "Mais non, je suis un simple combattant du Jahbat al-Nusra (branche syrienne d'Al-Qaeda). J'ai eu à un moment quelques responsabilités mais rien de significatif".
Dans ce livre, Laurent affirme également avoir passé "plusieurs semaines" à Selma (Syrie) et avoir rencontré plusieurs djihadistes français. Là aussi, la version d'Aboua Maria est différente : "Samuel Laurent est resté six jours en Syrie, pas plusieurs semaines [...] Et je suis catégorique : Samuel Laurent n’a rencontré aucun jihadiste français chez lui. C’était son obsession, mais on n’a pas réussi à en trouver ; le seul que j’ai contacté a refusé de le voir".
Et ce n'est pas fini. La conclusion de l'ouvrage a aussi intrigué Libé : Al-Qaeda disposerait de cellules en France déterminées à commettre attaques et attentats. Samuel Laurent dit connaître leur chef et le livre se termine même sur une visite des caches d'armes de l'organisation en France. "Cela n’a aucun sens", pour un cadre de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), interrogé par Libé. "C’est comme si Ben Laden ou l’un de ses adjoints avait dit à un journaliste avant le 11 Septembre qu’il s’apprêtait à envoyer des avions contre des tours aux Etats-Unis. Ce serait totalement stupide. L’histoire nous a montré que les dirigeants d’Al-Qaeda ne le sont pas".
Sur Twitter, l'auteur/consultant international a réagi avec une grande véhémence, promettant un "sérieux retour de manivelle" :
"propos incohérents" (thomson, rfi)
Interrogé par Libé, l'éditeur de Samuel Laurent a tenté de se justifier. Le fait que son père, Eric Laurent, journaliste géopolitique sur France Culture, ait été édité dans la même maison en 2012, a-t-il pu jouer ? "Oui, cela a joué", reconnaît Jean-Christophe Brochier avant d'ajouter : "Je ne suis pas rédacteur en chef et Samuel Laurent n’est pas journaliste. C’est un consultant international, ce qui veut tout dire, ou ne rien dire. Disons que c’est un baroudeur".
Un baroudeur ou plutôt un imposteur selon le journaliste de RFI David Thomson, contacté par @si et qui a, à plusieurs reprises, alerté les rédactions qui donnaient la parole au "consultant international". Sans réponse. "L'ensemble des acteurs directs ou indirects du phénomène (spécialistes, journalistes, chercheurs) sont unanimes sur ce personnage. La vraie question, c'est : comment un personnage qui développe des propos aussi incohérents peut être présenté comme un spécialiste sur un sujet aussi sensible ?".