Ruffin : pas possible d'évoquer Drahi dans Libé
Anne-Sophie Jacques - - Silences & censures - 0 commentairesPeut-on évoquer le modèle fiscal de Patrick Drahi dans les colonnes de Libération – titre qui lui appartient désormais ? Visiblement, non. Interrogé longuement par le quotidien, le journaliste et réalisateur de Merci Patron François Ruffin regrette ce matin sur le site Fakir que les passages concernant les mauvaises pratiques fiscales de Drahi n’aient pas été repris – tout comme les passages sur Laurent Joffrin, directeur de Libé.
"Drahi, Joffrin : ce que vous ne lirez pas dans Libé"… Dans un billet paru ce matin sur le site Fakir, le journaliste et réalisateur de Merci Patron – reçu sur notre plateau juste avant la sortie du film en compagnie de Frédéric Lordon – revient sur son interview accordée à Libération publiée hier sur le site du quotidien et ce matin dans la version papier.
Si Ruffin se réjouit d’avoir pu évoquer la campagne contre le PS lancée par Fakir qui débute ce mardi ou encore son appel à un mouvement populiste de gauche, ou même le protectionnisme, il regrette que les passages concernant "Laurent Joffrin, le directeur de Libération, et surtout Patrick Drahi, l’actionnaire principal, patron de SFR, L’Express, BFM" aient été caviardés. Pour Joffrin, écrit Ruffin, "dans l’entretien, je mentionnais juste une «imposture» : voir le directeur de Libération parler sur les plateaux télé au nom de la gauche relève de l’imposture médiatique, tout comme voir Valls de l’imposture politique".
En revanche, sur Drahi, Ruffin a été selon lui plus prolixe : "Comment veut-on, j’interrogeais, que la presse s’attaque sérieusement au blanchiment d’argent, à la folle finance, alors qu’elle est entre les mains de champions des holdings et des paradis fiscaux ? Parmi eux, Patrick Drahi figure en excellente position avec des filiales, des comptes bancaires, au Luxembourg, à Guenesey, au Panama. On doute que lui-même s’y retrouve dans l’enchevêtrement de ses sociétés" ajoute-t-il avec,à l’appui, un graphique établi par l’économiste Benoît Boussemart (repris notamment sur @si) mais qui, selon Ruffin, n’a jamais été publié par Libé.
Cette censure/autocensure, Ruffin dit la comprendre et avoir même accepté l’interview après relecture. Pour autant, ajoute-t-il, "c’est une règle du jeu médiatique, qu’on peut néanmoins dénoncer : l’impossibilité de critiquer les patrons de presse dans la presse". Interrogé par @si, le réalisateur ne veut pas s’en prendre aux auteurs de l’interview qui ont été "très corrects" avec lui. Cela dit, suite à l'interview, ces derniers ont reconnu que les passages sur Joffrin et Drahi seraient difficiles à faire passer. Sollicité également par @si, le journaliste de Libé, Luc Peillon, n’a pas souhaité nous répondre.
Ruffin n’a pas connu cette même mésaventure dans sa tribune publiée samedi sur le site du Monde centrée, il est vrai, sur Emmanuel Macron et la maladie de "macronite", autrement dit "le «socialisme» dans sa phase terminale". Le quotidien a uniquement demandé la suppression de deux passages invitant notamment à salir de chantilly le costume du ministre de l’économie.
Mise à jour lundi 6 juin à 16 heures : interrogé par le site Ozap, Johan Hufnagel, co-directeur de la rédaction de Libération, dément toute censure. S'il concède que les journalistes n'ont pas intégré les propos de Ruffin sur Joffrin et Drahi dans "cette interview d'une heure, forcément raccourcie en version papier", Hufnagel assure que cette omission s'est faite en accord avec Ruffin, qui a "validé cette décision dans un mail après avoir exigé de relire son interview avant publication". Avant d'ajouter : "François Ruffin est libre de penser ce qu'il veut mais le papier avait un angle préciset cela n'y rentrait pas. On ne faisait pas un débat sur Laurent Joffrin ou Patrick Drahi."
Mise à jour 2 le lundi 6 juin à 17 heures : au tour du journaliste et auteur de l’interview Luc Peillon de répondre aux accusations de Ruffin cette fois-ci sur le site de Libération. Tout comme Hufnagel (lire plus haut), Peillon rappelle que l’entretien, une fois retranscrit, représentait "l’équivalent de quatre pages, alors que nous ne disposions que de deux pages pour accueillir ses propos. Il fallait donc, de toute façon, couper. Ne soyons cependant pas hypocrites. Nous n’allons pas dire que nous étions ravis de ces passages qui tapaient sur notre média et notre directeur. Mais ces propos auraient mérité un vrai débat contradictoire."
Puis le journaliste choisit de publier un extrait d’une question/réponse supprimée et à ses yeux la plus polémique, dans laquelle Ruffin se demandait : "peut-il y avoir de l’impartialité des journalistes de Libération quand l’un de ses actionnaires, Patrick Drahi, balade ses capitaux entre Guernesey et le Panama, et se base fiscalement en Suisse ?" Une phrase qui ne repose sur rien de concret selon Peillon qui assure que lors du traitement des Panama Papers dans Libé, le nom de Drahi a bien été évoqué dans le quotidien.
Enfin, Peillon publie un mail envoyé par Ruffin dans lequel le journaliste de Fakir leur propose un "deal" : "OK, je vous emmerde pas avec ça, on ne cite pas Drahi ni Joffrin" mais, ajoute-t-il, "j’ai largement réécrit l’entretien, pour insister sur des points qui me paraissent plus importants, qui correspondent mieux à ma pensée". Conclusion de Peillon : "c’est donc plutôt François Ruffin qui nous propose un «deal», que nous n’avions jamais demandé, et qu’il ne respectera finalement pas… Sans évidemment nous en parler."