Roubini, le "prophète" et ses conflits d'intérêts

Dan Israel - - 0 commentaires

"Prenez l'argent et fuyez."

Une des récentes lettres confidentielles de la société de conseils économiques RGE recommandait à ses clients, en gros, de vendre les obligations d'Etats européens qu'ils détenaient, et de "prendre leurs bénéfices" avant que le système ne s'effondre.

Au milieu du chaos financier dont n'arrive pas à se dépêtrer l'Union européenne, ce conseil n'a rien de vraiment étonnant. Mais il devient plus gênant lorsqu'on réalise que RGE signifie "Roubini global economics", et est la société de Nouriel Roubini, économiste et prof d'université très respecté, notamment depuis qu'il a prédit la crise des subprimes de 2008 (nous vous en parlions ici)… C'est un article d'ElPais espagnol, suivant un billet de la semaine dernière de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, qui souligne cette bizarrerie.

Pourquoi bizarrerie ? Après tout, depuis de très longs mois, Roubini déclare publiquement envisager la désagrégation de la zone euro et l'expansion de la crise économique (par exemple en juin dans le Financial Times). Il n'est pas illogique que sa société dise la même chose. Certes. Mais Roubini verse tout simplement dans le conflit d'intérêts : "L'auteur de cette lettre qui dispense ses conseils aux spéculateurs est aussi un expert économique respecté, professeur à l'université de New York, conseiller de divers gouvernements et banques centrales, qui (…) prévoit un défaut de la Grèce, voire une explosion de la zone euro. Ce qui alimente la panique pour le plus grand profit de ses clients qui parient sur une baisse des obligations d'Etat", écrit Quatremer. El Pais ne dit pas autre chose : "Sa main académique presse pour qu'arrive le pire, et sa main financière recueille les bénéfices lorsqu'arrive le pire." On peut aussi voir les choses dans l'autre sens: en poussant ses clients, et ceux qui suivraient leur mouvement, à vendre des obligations d'Etat, Roubini pourrait contribuer à accélérer la crise qu'il prédit.

Le journal espagnol oppose cette "conduite de voyou" à celles de Paul Krugman, qui a abandonné tous ses postes de conseiller lorsqu'il a ouvert une chronique dans le New York Times, Joseph Stiglitz qui a fait de même en entrant à la Banque mondiale, et Larry Summers, qui a abandonné ses cours à Harvard lorsqu'il est devenu conseiller de la Maison Blanche en 2009.

Il n'y a pas que les anglo-saxons qui risquent les conflits d'intérêts. En France aussi, les économistes sont parfois tentés...

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