Retraites : non, Macron n'est pas passé sur sa "jambe gauche"

Tony Le Pennec - - Intox & infaux - 25 commentaires

Emmanuel Macron a semble-t-il renoncé à "l'âge pivot" dans sa prochaine réforme des retraites, celui à partir duquel les travailleurs peuvent partir sans décote. A la place, le système d'annuité resterait en place. Contrairement à ce qu'affirment les télés, ce choix n'est pas du tout un geste social. Et le principe de la retraite à points, le morceau le plus problématique de la réforme, est pour l'instant maintenu.

Emmanuel Macron et Anne-Sophie Lapix sont à Biarritz. Derrière eux, l'océan. On débriefe le G7. Et soudain, en fin d'entretien, la journaliste, à propos du projet "d'âge pivot" de 64 ans, avant lequel un départ en retraite entraînerait une décote de 5 % par an :"Est-ce que c'est un recul de l'âge de départ à la retraite qui ne dit pas son nom ?" Macron : "Je préfère qu'on trouve un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l'âge. Parce que si vous avez un accord sur la durée de cotisation, quand vous rentrez tard dans la vie professionnelle, vous finissez plus tard, mais généralement c'est que vous avez fait des études ; et quand vous commencez tôt (...) vous partez plus tôt. Ça me semble plus juste." Adieu "âge pivot", bonjour durée de cotisation. Sur le fond, le système de retraite à points, qu'Arrêt sur images vous détaillait, n'est pas remis en cause. Et l'évolution, ou non, de la valeur du point, question primordiale dans un tel système, n'est toujours pas résolue, comme le remarquait le patron de Libération Laurent Joffrin, ce vendredi 30 août. Mais pour partir sans décote, il faudrait donc avoir travaillé un certain nombre d'années, et non avoir atteint un certain âge. 

Un grand chamboulement ? Un passage "sur la jambe gauche" ? Une main tendue à la CFDT ? Dès le lendemain, sur les chaînes de télé, c'est une avalanche de commentaires.

Une réforme tout sauf "sociale"

Macron aurait-il cédé sur sa réforme phare ? Lâché du lest en vue de la mobilisation annoncée ? Tendu la main aux syndicats ? Ce n'est pas le point de vue de Guillaume Duval, éditorialiste à Alternatives économiques, qui déplore sur Twitter que ce tournant soit "souvent présenté comme social". "C'est l'inverse", affirme-t-il. 

Et de développer, sur Twitter mais aussi dans une chronique dans Alternatives économiques : Macron dit vouloir refuser l'âge pivot pour ne pas pénaliser les personnes ayant commencé à travailler tôt. Pourtant, affirme Duval, le rapport Delevoye contient déjà une disposition pour ce type de cas : les travailleurs ayant commencé leur carrière avant 20 ans auront la possibilité de partir à la retraite à 60 ans sans décote. Vérification faite, une telle disposition existe effectivement à la page 55 du rapport remis au gouvernement. "En revenant à la logique de durée de cotisation, Emmanuel Macron ne compte bien évidemment pas la réduire comme le faisait de facto l'âge pivot mais l'allonger encore pour diminuer les droits à la retraite", conclut Duval. 

Comparaison des deux systèmes

Pour comparer le système proposé par le rapport Delevoye avec un système par annuités, il faudrait déjà savoir à partir de combien d'années de cotisation les travailleurs pourront partir avec une retraite à taux plein. Sur ce point, Macron ne s'est pas avancé. Ces questions seront réglées dans le cadre d'un "grand débat", affirme le président -le ministre des comptes publics Gérald Darmanin a estimé le 30 août que ce processus pourrait prendre environ un an. Mais en s'appuyant sur la réforme Touraine des retraites de 2014, on peut toutefois tenter une ébauche de calcul. Celle-ci prévoit un rallongement progressif, jusqu'à 43 annuités, de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Le nombre d'annuités nécessaires sera de 42 ans en 2025 (date à laquelle Macron souhaite mettre en application sa réforme), et de 43 ans en 2035. Si le gouvernement maintient cette évolution, voyons à quel âge les travailleurs pourront partir avec une retraite à taux plein, selon le rapport Delevoye et avec un système par nombre d'années de cotisation.

En 2025, quand la première génération partira à la retraite sous la nouvelle réforme, les personnes ayant commencé à travailler à 16, 17, 20 ou 21 ans (en vert) gagneraient à un système par annuité, si la réforme Touraine est maintenue. Pour les travailleurs ayant débuté leur carrière à 18 et 22 ans, cela ne changerait rien. Tous les autres perdraient à un système par nombre d'années de cotisation. Et plus les travailleurs ont commencé tard leur carrière, plus ils sont perdants. On remarque en revanche un effet de seuil fort, et donc assez injuste, dans le rapport Delevoye : un travailleur ayant commencé sa carrière à 19 ans devra travailler 41 ans pour avoir une retraite à temps plein, contre 44 ans pour un travailleur ayant commencé seulement un an plus tard. 

En 2035, quand la loi Touraine exigera 43 ans de cotisation pour une retraite à taux plein, l’écart se creuse encore. Seules les personnes ayant commencé à travailler à 16 et 20 ans gagneront à un système par annuités. Celles ayant débuté à 17 et 21 ans ne verront pas la différence, et tous les autres seront perdants. Avec un écart, par exemple, de trois ans de durée de cotisation pour un début de carrière à 25 ans (le système actuel prévoit une retraite à taux plein à 67 ans, même si les annuités ne sont pas atteintes). Notre démonstration souffre toutefois d'une incertitude : le rapport Delevoye prévoit que l'âge pivot évolue avec l'espérance de vie (chaque année d'espérance de vie gagnée devant se diviser en deux tiers de travail, un tiers de retraite). En 2035, il est donc possible que cet âge pivot ait déjà dépassé 64 ans. 

Mais même en prenant cette incertitude en compte, Guillaume Duval reste persuadé que le revirement de Macron a pour but de faire rentrer davantage d'argent dans les caisses de retraite. "Je pense qu'ils se sont rendus compte que le système par annuités leur permettait de raboter plus, affirme le journaliste économique à Arrêt sur images, d'autant que les cadres touchent de grosses retraites." Ces derniers ayant généralement fait de longues études, et ayant commencé à travailler plus tard, il seraient en effet davantage touchés par le maintien d'un système fondé sur le nombre d'annuités. 

Avec Benjamin Terrasson

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