Réforme du RSA : des analyses absentes des médias

Loris Guémart - - Intox & infaux - Médias traditionnels - 13 commentaires

Les journalistes sont-ils passés à côté des vrais sujets ? Deux experts le pensent

Ces trois reportages diffusés par BFMTV, RMC et France 2 pour la nouvelle année à propos de la réforme du RSA contiennent la plupart des éléments des récits médiatiques à son propos : un allocataire heureux d'avoir retrouvé du travail suite à l'expérimentation menée dans quelques départements. Les propos gouvernementaux et de la direction de France Travail (enthousiastes et rassurants). Un atelier de motivation afin de conserver son RSA. Les inquiétudes des associations accompagnant les allocataires dont ils observent la hausse des non-recours aux aides, et les inquiétudes d'une allocataire handicapée ne comprenant pas qu'on veuille la forcer contre toute logique à 15 heures minimum d'activité. Le tout surplombé par la possibilité du travail gratuit en entreprise, de radiations massives par les conseils départementaux qui versent le RSA, et d'une ambition politique destinée à appliquer en France un équivalent des funestes lois Hartz IV que vient d'abandonner l'Allemagne.

Une autre analyse, elle, est absente des médias lors des premiers jours de l'année. Elle provient en particulier de l'ex-conseiller de France Travail, lanceur d'alerte et désormais expert indépendant Yann Gaudin. "Non, il ne va rien se passer de spécial pour les bénéficiaires du RSA", assure-t-il dès le 2 janvier sur X, lui qui  affirmait le 31 décembre : "L'article L5411-6 du Code du travail prévoit bien 15 heures minimum d'activités à partir du 1er janvier 2025 mais : ça concerne tous les demandeurs d'emploi, pas uniquement les bénéficiaires du RSA. Il s'agit d'activités visant au retour à l'emploi, pas du tout de travail gratuit pour les collectivités ou les entreprises. L'article prévoit qu'en fonction du profil du demandeur d'emploi les activités puissent être réduites jusqu'à 1 heure seulement par semaine (ce qui sera probablement dans ce cas une vague mention d'activité du type «faire des candidatures»)."

Auprès d'Arrêt sur images, il peste contre la porosité médiatique tant envers la communication gouvernementale que vis-à-vis des critiques venues de la gauche. Selon Yann Gaudin, en effet, la plupart des mesures mises en avant existent déjà sous une forme ou une autre, par exemple concernant la radiation des allocataires du RSA ou les fameuses immersions en entreprises – qui ne reviendraient pas à du "travail forcé", a affirmé CheckNews à partir des affirmations de France Travail, et dont le détournement en travail gratuit serait très minoritaire. Quant au gouvernement, il met en avant une réforme parfaitement inapplicable à ce stade compte tenu de l'absence de moyens supplémentaires alloués à France Travail. Et Yann Gaudin d'établir un parallèle avec "l'offre raisonnable d'emploi", lancée sous la présidence de Nicolas Sarkozy et renforcée par Emmanuel Macron, décrite comme une machine à radier en masse sans que cela ne devienne jamais une réalité au-delà de quelques dizaines de radiations par an.

Qu'auraient dû proposer les médias à propos du RSA ? "La vérité : ça ne concerne pas que les bénéficiaires du RSA mais tous les usagers, que la loi explique que c'est 15 heures minimum mais que ça peut aussi être beaucoup moins, voire zéro, que si on part sur 15 heures il n'y a pas les moyens, que tout ça est inapplicable, résume l'expert indépendant. "Il faudrait expliquer ce qu'il y a réellement dans la loi, et ensuite, techniquement, en quoi ça pose des problèmes et qu'il ne va rien se passer." Jusqu'à présent, seul Marianne l'a cité dans le cadre d'un article pédagogique sur la réalité de la réforme. L'hebdomadaire a d'ailleurs aussi publié l'interview d'un autre expert indépendant en la personne de Jean-Louis Walter, médiateur de France Travail. 

Arrêt sur images s'est mis en quête d'un autre expert indépendant, en l'occurrence Michel Abhervé qui suit de près les questions d'emploi (dont la réforme du RSA avec une veille approfondie) sur son blog chez Alternatives économiques. Lui déplore les reportages montrant des allocataires du RSA ayant trouvé un emploi dans le cadre des expérimentations de la réforme. "Ça ne nous dit pas si c'est une exception ou la règle [...] On va trouver la bonne personne soigneusement choisie par les institutions, il n'y a pratiquement pas de médias qui prennent la peine d'aller chercher eux-mêmes des bénéficiaires : au mieux ils vont chercher l'avis des organisations syndicales qui tient lieu de contrepoids, mais la majorité se contente d'un ou deux parcours réussis et du discours officiel." 

Sur le fond, Michel Abhervé rappelle que l'application à contre-temps de la réforme du RSA est une "histoire classique" en la matière. "On prévoit des réformes en période d'amélioration de l'emploi, et quand elles arrivent, le contexte a changé, on est en situation de détérioration de la situation de l'emploi." Et ce dans le contexte, ici, d'un "montage imbécile" pour les conseils départementaux dont la plupart des dépenses concernent l'accompagnement social (dont le RSA), donc augmentent en période de crise, alors même que leurs recettes proviennent des droits de mutation immobilier, donc baissent simultanément. 

Qu'auraient du exposer les journalistes ce 1er janvier selon Michel Abhervé ? "À l'évidence, aujourd'hui, la réforme s'engage alors que les institutions sont incapables de tenir leur promesse, c'est-à-dire renforcer l'accompagnement pour sortir les gens du RSA, alors que globalement, on est aujourd'hui dans une situation où France Travail est saturé, le chômage ayant cessé de baisser. Et de l'autre côté, les conseils départementaux sont dans une situation économique très difficile [...] qui peut expliquer qu'on va accueillir plus d'un million de personnes supplémentaires avec au mieux le maintien des mêmes moyens ?"

Ce contenu est issu de l'épisode du 7 janvier 2025 de notre émission Proxy. Elle est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch. Pour en savoir plus, vous pouvez regarder l'extrait de Proxy dont cet article provient :

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