Raoult : des médecins soutiens malgré eux

Julie Le Mest - - 18 commentaires

Le président de la région PACA Renaud Muselier bat le rappel pour son ami Didier Raoult, des soutiens s'enflamment, et Le Figaro finit par revoir à la baisse, sans tambour ni trompette, le nombre de médecins signataires d'une tribune de soutien.

"Nous apportons notre soutien à Didier Raoult et nous avons pour lui considération et gratitude." La phrase mise en exergue de la tribune publiée vendredi 11 septembre par le FigaroVox (dont ASI vous parlait ici), est sans ambiguïté. Titrée "Conseil de l’ordre, il faut laisser Didier Raoult en paix !", et présentée initialement, sur le site du Figaro, comme un appel de "200 médecins" de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, la tribune a été rédigée, de façon peu commune, par Renaud Muselier, président Les Républicains de cette région, médecin lui-même, et ami de longue date du directeur de l'Institut Hospitalo-universitaire de Marseille. Le ton de la tribune est élogieux, la stratégie de dépistage de Raoult y est défendue, mais aussi, en filigrane et malgré de légères réserves, celle de promotion de la chloroquine.

Proposée initialement au Monde, qui n'avait pas donné suite, cette tribune est un contrefeu, alors qu'une plainte de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) a été déposée en juillet contre l'infectiologue auprès du Conseil départemental de l’Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône - info d'ailleurs sortie dans les pages Science du Figaro - et que le Professeur Raoult est visé sans être nommé, mais de façon transparente, dans plusieurs paragraphes de la tribune "Halte à la Fraude scientifique" parue dans Libération le 2 septembre et signée de plusieurs sociétés savantes, associations et collectifs.

Des médecins sur la liste à leur insu

Les 200 médecins, un soutien bienvenu ? Presque. Mardi 15 septembre en fin de matinée, le Dr Damien Barraud, anesthésiste-réanimateur à Metz et opposant tonitruant à Raoult, accuse : "Même pour une tribune dans le @FigaroVox, la mafia politico-universitaire triche : des medecins ont vu apparaître leur nom dans les signataires...A LEUR INSU". Le message suscite des réactions. Dans les commentaires, un témoignage anonyme évoque jusqu'à une dizaine de médecins concernés, dans une clinique proche de Toulon. D'autres twittos fulminent de ne pas pouvoir vérifier les noms, masqués par le paywall du Figaro - il sera levé plus tard dans l'après-midi. Et quelques heures plus tard, Le Figaro vient confirmer, en deux tweets, la suppression de deux noms de la liste des signataires, en précisant que celle-ci a été transmise avec la tribune par Renaud Muselier.

Des noms collectés par l'élu ? Déjà, dans un article publié le 10 septembre, l'Express signale que le président de la Région PACA bat alors le rappel pour le soutien de Didier Raoult. "Deux proches de Renaud Muselier font, en effet, la tournée des boîtes mail et WhatsApp pour récolter le maximum de signatures de médecins avant parution. La première est conseillère au cabinet de l'élu LR, le second chargé de mission au pôle rédactionnel de la région", raconte l'hebdomadaire, qui y voit une stratégie électorale dans la perspective des échéances à venir, vue la popularité du pape de la chloroquine auprès des Marseillais. (Sollicité par ASI, Renaud Muselier n'a pas donné suite, pas plus que les membres de son cabinet)

Intervention maladroite du Dircab

Le directeur adjoint du cabinet de Muselier à la Région, Romain Simmarano, intervient d'ailleurs en commentaire de Damien Barraud, pour rassurer sur les vérifications en cours, sur une liste qui "n’était évidemment composée que de noms de médecins ayant donné leur accord dans le cadre d’échanges écrits ou par inscription sur une plateforme". Mal lui en prend, puisque des twittos exhument alors un article publié dans Marianne en 2015 dans lequel, alors assistant parlementaire de Muselier au Parlement Européen, le même Simmarano était accusé d'avoir piloté une fausse liste écologiste à Marseille lors des élections départementales...

Comment se fait-il que le nom de médecins soit publié en bas d'une tribune sans leur accord ? Interrogé par ASI, Alexandre Devecchio, responsable de FigaroVox, avoue avoir suivi la polémique de loin - la tribune a été traitée par le journaliste Guillaume Perrault, qui n'a pas répondu aux sollicitations d'ASI. Devecchio confirme cependant, à la date du 15 septembre (la veille de l'entretien téléphonique et avant les interpellations en ligne), le retrait de deux noms de la liste. En général, Il affirme avoir "tendance à faire le maximum de vérifications possibles", en particulier "quand on ne connaît pas bien les personnes [qui transmettent la tribune], s'il y a un doute." Mais là, "la liste venait d'un élu et elle était conséquente, on n'a pas pu tout vérifier." Avec deux noms retirés, il s'agit à ce stade pour lui d'une "non-affaire", dans laquelle il voit un "problème technique, d'organisation" de la part des collecteurs de signatures : "la thèse d'une tribune organisée, avec des fausses signatures, ne tient pas debout." Pas d'erratum dans l'article pour indiquer la suppression : "Quand nous avons retiré les noms, il n'y avait pas encore de polémique. Je ne sais pas si ces retraits étaient liés à un problème, ou si c'était des gens qui avaient changé d'avis. Je n'y ai pas pensé, mais on aurait pu le faire."

30 praticiens sur la tribune, sans connaître son existence

Mais n'y a-t-il que deux signatures en cause ? Le twittos qui a évoqué une dizaine de signatures indues est médecin-anesthésiste à Toulon. Il raconte, de seconde main, une histoire proche du témoignage, lui direct, du Dr Floriane Ouliac, endocrinologue (et dont le nom est visible sur des republications de la tribune initiale), publié sur le journal en ligne d'actu médicale egora.fr : une clinique, à proximité de Toulon, dans laquelle plusieurs médecins ont découvert par hasard se trouver sur la liste des signataires, sans être même au courant de l'existence de la tribune. Histoire qui n'a pas fait de vagues : "dans le monde de la médecine, il y a une omerta, les gens n'aiment pas trop se mouiller", évoque un médecin de la région PACA auprès d'ASI.

La clinique est pourtant réelle, c'est la même dans les deux cas - et ce sont ces échos qui ont poussé Damien Barraud à interpeller FigaroVox. Il s'agit de la clinique mutualiste Malartic, à Ollioules (Var), dont la directrice, Valérie Massenet, confirme les faits auprès d'ASI : sur les 35 praticiens de la clinique, 30 se sont retrouvés signataires de tribune, sans même connaître son existence. Et pour cause : trois seulement avaient été interrogés sur leur volonté d'y adhérer, pour deux réponses positives... "Quelqu'un s'est emballé", commente Valérie Massenet, qui pointe une responsabilité interne à la clinique dans la transmission d'une liste au cabinet de Muselier, qu'elle dédouane entièrement ou presque : "Ils n'ont pas vérifié leurs sources, c'est ça qu'ils peuvent se reprocher." L'histoire n'en reste pas là : un démenti collectif a été adressé au Figaro, en recommandé avec copie au Conseil de l'Ordre des médecins, pour demander le retrait immédiat des noms de la version web de la tribune. Une quinzaine des médecins le demande, les autres acceptant de laisser leurs noms : "certains ont fait un démenti par principe, parce qu'ils n'avaient pas été interrogés, d'autres ne sont pas d'accord sur le fond de la tribune." La directrice n'a pas souhaité transmettre le courrier de démenti, arguant du souhait d'anonymat des praticiens.

Effectivement, le 16 septembre au soir, le Figaro, qui n'a pas répondu à nos demandes complémentaires d'information, avait mis à jour la tribune. Exit le titre "l'appel de 200 médecins" en titre, devenu "l'appel de médecins". Le chapo, après avoir signalé pendant un moment le soutien de "quelques médecins", s'est stabilisé à "190 médecins", mais toujours pas d'erratum pour signaler la suppression de certains noms (Mise à jour au 18 septembre : un erratum a finalement été ajouté par le Figaro le 17 septembre, en début de tribune, après la publication de cet article : "Erratum: Le président de région, Renaud Muselier, auteur de la tribune, s’est également chargé de la collecte des cosignataires. Près de 210 noms nous ont été transmis. Or, parmi ces cosignataires, une quinzaine nous ont contactés et nous ont fait savoir que c’est à tort que leur nom figurait dans la liste. Nous les avons donc retirés.")

À la décharge du Figaro, la vérification des signataires de ce type de tribunes est complexe. Au Monde par exemple, "On fait confiance aux personnes qui ont collecté les signatures, on leur demande s'ils ont tout vérifié, mais on ne vérifie pas une par une les signatures", explique Franck Nouchi, rédacteur en chef de la rubrique Idées-Débats. "En général on les connaît, pas toujours, ce qui parfois pose des problèmes." Depuis son arrivée à la tête du service, il n'a jamais été confronté à des demandes de retrait de signatures -le cas le plus fréquent est la demande d'ajouts de noms. Comme au Figaro, qui applique un paywall à tous les articles parus dans le journal papier, le Monde donne un accès payant aux tribunes, "la règle générale" concernant le site. Autre règle : le Monde ne publie que des tribunes factuellement exactes.

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