Protocole sanitaire : Blanquer préfère les médias aux profs

Paul Aveline - - 29 commentaires

Depuis le début de la pandémie, Jean-Michel Blanquer communique beaucoup par voie de presse. Au grand dam du corps enseignant, qui reçoit les informations sur les protocoles sanitaires après les médias. Il en profite aussi pour communiquer sur son nouveau livre, opportunément titré "École ouverte".

Comme en 2020, c'est dans le JDD du 22 août que Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, a décidé de présenter son plan pour la rentrée scolaire de septembre. Placée sous le signe du Delta, le variant désormais majoritairement détecté en France du Covid-19, la rentrée scolaire est déjà sous tension. En cause, les méthodes du ministre Blanquer, qui, encore une fois, a préféré dévoiler ses mesures à la presse avant d'en informer le corps enseignant. 

Pour septembre 2021, Jean-Michel Blanquer prévoit, parmi quelques mesures phare, l'accès à la vaccination "à proximité ou au sein-même" des établissements, l'isolement des élèves non-vaccinés qui seraient cas contact - ils devraient donc suivre un enseignement à distance -, mais  l'absence de pass sanitaire pour l'accès aux établissements scolaires, que ce soit pour les personnels, les élèves ou leurs parents. Des mesures qui correspondent au "niveau 2" (sur 4) de l'échelle des mesures sanitaires créée par le ministère. Le niveau qui permet, selon Jean-Michel Blanquer dans le JDD, "d'avoir la rentrée la plus normale possible, avec les élèves en classe, tout en préservant la santé de chacun."

"IL nous considère comme des exécutants" 

Rapidement, les annonces de Jean-Michel Blanquer dans le JDD ont provoqué la colère du corps enseignant et des syndicats. Car la prise de parole du ministre en exclusivité dans un journal, qui plus est dans un article payant, n'a été précédée d'aucune discussion avec les personnels de l'Éducation nationale, qui ont donc appris dimanche à quelle sauce ils allaient devoir déguster la rentrée. Aucun des enseignants avec lesquels nous avons discuté n'avait reçu de consignes pour la rentrée avant cet article du 22 août. "À chaque fois, on a beau s’y attendre, c’est quand même assez insupportable. On est contraints d’acheter le JDD le dimanche. Pour tous les enseignants c’est une forme de mépris et pour les organisations syndicales, ça crée à nouveau des tensions avec le ministère", s'agace auprès d'ASI Guislaine David, co-secrétaire générale et porte parole du Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des Écoles et PEGC, le SNUipp-FSU, qui s'inquiète que le niveau 2 du protocole sanitaire ne soit pas adapté à la situation sanitaire. 

Une inquiétude partagée dès le 19 août par une "trentaine de médecins et enseignants", co-signataires d'une tribune parue dans Le Monde : "Il nous apparaît aujourd’hui impensable, pour la majorité des départements français, d’envisager une reprise au « niveau 2 » du protocole sanitaire, alors que le taux d’incidence chez les 0-19 ans est cinq fois supérieur à celui de la rentrée 2020." La tribune est balayée par Jean-Michel Blanquer dans le JDD, qui l'associe à une "volonté de polémique à chaque étape" et en appelle "au sens de l'intérêt général." 

Ce n'est pas la première fois que Jean-Michel Blanquer prend de court son administration. Le 29 août 2020 déjà, c'est dans ce même JDD que le ministre avait annoncé ses mesures pour la rentrée scolaire. Encore une fois, sans prévenir en amont le corps enseignant ou les organisations syndicales. "Je trouve ça insupportable de devoir regarder la télévision ou acheter le journal pour savoir ce que je dois faire. Certains collègues ressentent ça comme du mépris. À chaque fois, il nous répond qu’il va faire des efforts, ou que les circonstances sont exceptionnelles et qu'il n'a pas la possibilité de faire autrement", explique Laurence Colin, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale, le SNPDEN-UNSA. Un sujet - la déconnexion avec les personnels - qui n'est jamais abordé lors des interviews de Jean-Michel Blanquer dans la presse. 

Plus qu'un "mépris", Johan Faerber, éditeur et enseignant, y voit une forme de "réification" de la profession : "Blanquer n’annonce rien aux enseignants parce qu’il les considère comme de simples exécutants. Pas comme des interlocuteurs." Il regrette d'ailleurs l'absence des professeurs dans le débat public : "C’est très frappant dans la presse : il n'y a jamais de débat entre les profs et Blanquer. On leur retire cette parole. Ce qui fait que Blanquer ne voit pas les enseignants". Il faut remonter à 2019 pour trouver un débat public entre Blanquer et des enseignants, sur la réforme des retraites, en présence du Premier ministre d'alors Édouard Philippe. Cependant Blanquer prétend cette fois avoir échangé avec les enseignants dans le JDD : "J'ai écouté les organisations syndicales cette semaine et nous continuons à dialoguer sur tous les enjeux de mise en œuvre." 

Interrogés par ASI, plusieurs syndicats confirment avoir été contactés le vendredi 20 août, soit deux jours avant la publication du JDD. "Il a appelé les fédérations le vendredi. Il a pris la température, mais c’était purement pour la forme. Pour pouvoir dire qu’il nous a consultés", confirme Guislaine David. Isabelle Vuillet, co-secrétaire générale de la CGT Éducation, a reçu le même appel : "Il a appelé chaque organisation syndicale dans la journée du vendredi de manière bilatérale pour savoir, notamment, quel scénario choisir pour la rentrée. Mais c’était très flou. Et on a découvert dans le JDD certains points." La technique Blanquer fait des émules. Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, vient de l'adopter en révélant en exclusivité au Parisien, dans un article réservé aux abonnés du journal, ses mesures pour la rentrée scolaire dans les universités.

Un livre bien nommé 

Depuis plusieurs semaines, Jean-Michel Blanquer le répète à l'envi : son objectif, c'est "l'école ouverte". Le 19 août par exemple, en déplacement dans les Hauts-de-Seine, le ministre déclare vouloir "une année scolaire 2021-2022 qui soit caractérisée par l'objectif «école ouverte»." Une référence directe à la pandémie, qui a causé pendant l'année scolaire précédente de nombreuses fermetures de classe et d'établissements scolaires. Mais pas que. Car, hasard total du calendrier, Jean-Michel Blanquer sort aussi un livre le 9 septembre. Son titre ? École ouverte. Une coïncidence elle non plus jamais évoquée dans les interviews du ministre. Tout au plus le JDD se contente-t-il d'annoncer la sortie de l'ouvrage - écrit lors d'un "été studieux" - dans un encadré, publié sous l'interview de Blanquer : "Il y raconte (...) son propre combat pour convaincre les autorités, les personnels, les parents et l'opinion de la nécessité de garder ouverts les établissements scolaires pendant cette crise."

De quoi énerver Guislaine David, du SNUIpp-FSU : "On a l’impression qu’il est le seul détenteur de l’idée que l’école doit être ouverte et qu'il aurait bataillé contre vents et marées pour qu'elle le reste. Ce qu’il oublie de dire, c’est qu’aucun enseignant ne souhaite que l’école ferme. Personne n’aime l’enseignement à distance. Toute l’année dernière, il a eu ce discours binaire. On n’a jamais prôné la fermeture des écoles !" "C'est une présentation faussée de la réalité, abonde Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges, le SNALC. On est tous d’accord pour dire que la présence est mieux que la distance. Mais ce n’est pas un principe supérieur au principe de sécurité des élèves et des personnels. S’il faut choisir entre maintenir les cours en présentiel et décharger le système hospitalier qui explose, on privilégie le système hospitalier, c’est une évidence."

D'autant que, comme le précise Jean-Rémi Girard, le terme d'"école ouverte" n'est pas anodin. "L’emploi même de cette expression pose question : l’école ouverte, c’est le nom donné à des dispositifs mis en place pendant les vacances, les mercredis, les samedis, souvent pour les enfants qui n’ont pas la possibilité de faire du sport ou des activités en dehors de l’école. Il y a [chez Blanquer] une volonté de récupérer un contenu symbolique pour l’appliquer à autre chose, en l'occurrence la pandémie." Le dispositif "école ouverte" est en effet présenté sur le site du ministère de l'Éducation nationale comme permettant "aux jeunes, dès l'école élémentaire, qui vivent dans des zones urbaines et rurales défavorisées (...) de bénéficier de renforcement scolaire, d'activités éducatives et de loisirs." Il devait accueillir jusqu'à 400.000 élèves en 2020. Un glissement sémantique sur lequel, là encore, Jean-Michel Blanquer n'est jamais questionné. Pas plus tard que le 26 août, le ministre a répété vouloir maintenir les établissements scolaires ouverts, lors d'une conférence de presse donnée au ministère. En attendant la sortie du livre de Jean-Michel Blanquer, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a annoncé le report au 13 septembre de la rentrée scolaire en Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Barthélemy ainsi que "dans les zones rouges de Guyane". Écoles fermées, donc.


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