Portrait de Bolloré : l'AFP voit double
Robin Andraca - - 0 commentairesJeudi 24 septembre, l’AFP publiait deux portraits de Vincent Bolloré, l’un destiné au marché français, le second à l’international. "Petit prince du cash flow" ou "plus grand prédateur de la place de Paris" : selon qu’il soit français ou belge, le lecteur n’a pas eu affaire au même Bolloré, ni aux mêmes anecdotes.
Bolloré par l'AFP, version française
“Cheveu impeccable et teint hâlé”, “petit prince du cash-flow”, “toujours disponible” : à la lecture du portrait que lui a consacré l’AFP, jeudi 24 septembre, Bolloré, entendu le même jour par le CSA, n’a pas dû passer un trop mauvais moment. Dans ce papier intitulé “Vincent Bolloré, un « hyperprésident» de l’industrie et des médias", rédigé par un journaliste économique de l'agence, Bolloré est présenté comme un homme qui “a fait en quelques décennies de la papeterie familiale en perdition un empire qui va de la publicité à la logistique, en faisant preuve d'un hyperactivisme et d'une implication totale dans le moindre dossier notamment celui de Canal”.
Est-il aussi question de Canal+, et des multiples polémiques qui ont émaillé sa reprise en main aux forceps de la chaîne ? Oui, mais très brièvement. Le portrait évoque bien le passage en crypté des Guignols mais préfère y voir le symbole de l'implication de Bolloré “dans tous les dossiers”. Même chose pour la censure du documentaire sur une filiale de la banque Crédit Mutuel, évoquée du bout des lèvres : “Un collectif de journalistes et de la Société civile des auteurs multimédia (Scam) l'avait accusé d'avoir fait censurer des reportages, dont l'un portant sur les manoeuvres fiscales du Crédit Mutuel, banque partenaire de Vivendi”.
Pas un mot en revanche sur la censure d’un autre documentaire, OM, la fuite en avant ?, diffusé le 2 septembre sur Canal+ Sport et retiré ensuite de la plateforme de replay de la chaîne. Ni sur la nomination de Guillaume Zeller, catholique traditionaliste invité à de nombreuses reprises à l’antenne de la radio d’extrême-droite Radio Courtoisie, à la direction de l’information du groupe Canal+.
L'AFP préfère revenir sur le parcours de ce "jeune homme pressé" et revient sur “l’un de ses derniers succès, visible à chaque coin de Paris” : les voitures électriques Autolib’ qui “poursuivent leur expansion dans plusieurs agglomérations européennes et même à Indianapolis”. “Cheveu impeccable et teint hâlé, Vincent Bolloré est toujours disponible pour vanter les avantages de cette technologie qu'il a même introduite en Bourse", écrit l'agence. Un bien beau portrait donc, qui précise que l’industriel “se montre en revanche plus discret sur ses activités en Afrique”, tout en rappelant son prochain projet, “pharaonique” : “la construction d'une "boucle" ferroviaire longue de 2.700 km, devant relier cinq pays d'Afrique de l'Ouest : la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin et le Togo”.
Bolloré, de l'autre côté de la frontière
Le même jour, l’AFP publiait un autre portrait de Bolloré, destiné au marché international. Dans cette version, reprise par exemple par le site du quotidien belge La Libre, Bolloré a toujours le “brushing impeccable”, le “teint hâlé” et reste cet industriel impeccable qui a transformé une entreprise en perdition en empire aux activités multiples. Mais, pour le reste, oubliez l’hyperprésident de l’industrie et des médias ! Hors de nos frontières, l’industriel s’est subitement transformé en “magnat à la poigne de fer qui agite l’audiovisuel en France”.
Bolloré par l'AFP, version internationale
Dans ce portrait, à la dent plus dure, Bolloré n’est plus le “petit prince du cash-flow”. Il est décrit, au contraire, comme un “manager brutal”, qui a tenté de se débarrasser des Guignolsde l'info, qui ne doivent leur survie “qu’au tollé déclenché dans l’opinion et la classe politique par la menace de sa disparition”. “Sous ses airs de bon fils de famille bien élevé, Bolloré est le plus grand prédateur de la place de Paris”, assurait fin 2013 au journal Le Monde un banquier d’affaires”, écrit cette fois l'AFP.
Sur l'été meurtrier de Canal+, l’agence en dit aussi davntage en Belgique qu'en France. Si le portrait destiné au marché international ne mentionne pas non plus la censure du documentaire sur l’Olympique de Marseille, il n’omet pas la nomination polémique de Zeller au poste de directeur de l’information de Canal+ : “Le limogeage le plus radical a visé les deux dirigeantes d'I-Télé, la chaîne d'infos du groupe, suscitant l'inquiétude de la rédaction après la nomination à sa tête d'un responsable sans expérience dans la télévision en continu, catholique traditionaliste réputé proche de l'extrême droite”.
Dans les couloirs de l'agence, on dément catégoriquement que la mansuétude du premier portrait soit liée au désir de ne pas contrarier Bolloré qui, comme patron de medias, est un client de l'agence. On convient mezzo voce que ce portrait "France" aurait gagné à être plus incisif. "S'il avait été rédigé par un journaliste medias et non par un journaliste économique, il aurait été différent".
L'occasion de revoir notre émission : "Sur place, l'action de Bolloré en Afrique ne semble pas terrifiante".