Philippines : embarquer avec les cadavres (blog AFP)

Gilles Klein - - 0 commentaires

Une caméraman de l'AFP basée à Hong Kong évoque, sur le blog Making-of de l'AFP, son reportage de 9 jours dans la ville de Tacloban (Philippines) ravagée par le typhon Haiyan le 8 novembre dernier.

Agnès Bun est journaliste reporter d'images (JRI) à l'AFP. Venue de Hong-Kong via Manille, avec un photographe, elle arrive à Tacloban, une ville de 210 000 habitants, située sur l'île de Leyte, le lendemain de la castastrophe dans la matinée.

La ville a été ravagée par des vents de 300 km/h et des vagues géantes. Maisons en bois rasées, rue noyées, plus rien ne marche naturellement : ni téléphone, et encore moins d'électricité. Les batteries de son matériel ne durent pas. Elle note lucidement : "Si je ne peux pas envoyer mes images pour que les télévisions du monde entier les diffusent, je ne sers à rien." heureusement elle finit par recharger avec un générateur amené, à l'aéroport, par les militaires qui les ont déposés en avion.

Tacloban après le super-typhon (AFP/Noel Celis)

A l'image des survivants, la journaliste dort là où elle peut : "entassés à quinze sur des planches en bois, des tables ou à même le sol boueux qui grouille d’insectes répugnants. L’odeur d’urine (il n’y a naturellement pas de toilettes en état de marche) se mêle à celle des dizaines de cadavres qui, sous le soleil de plomb, se décomposent dans les alentours." A l’aéroport de Tacloban, dans un hôpital de fortune mis en place par les militaires, elle assiste à l’accouchement d’une femme : "Cette belle histoire, depuis, a fait le tour de la planète."

Bun évoque aussi un des moments durs du reportage : "nous ne pouvons faire autrement que de monter dans le camion qui transporte les cadavres vers un endroit où des médecins légistes tenteront de les identifier. Je prends place dans la cabine du camion, à côté du chauffeur. Mes deux collègues, eux, sont contraints de voyager à l’arrière, au milieu des corps en décomposition…"

La journaliste parle d'une situation paradoxale à Palo Leyte, un village où les secours ne sont pas encore arrivés : "on me propose même à manger ! Impossible d’accepter, bien sûr. (...) Mais si je défaille, je ne pourrais pas accomplir le travail pour lequel je suis venue, je ne servirais plus à rien. Alors je finis par accepter les rations alimentaires." Souvent des survivants lui demandent de les filmer pour faire connaître à leur famille qu'ils sont vivants : "IComment doucher la seule possibilité d’optimisme qui se présente à eux (...) ? Alors je m’exécute, même si je sais que je n'utiliserai pas ces images. (...) Cela me fend le cœur de faire une chose pareille. Je me sens coupable, faible… Mais d’un autre côté ma triste comédie a l’air de leur faire tellement de bien…"

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