Patrimoine des élus : transparence et... silence

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

De la transparence kafkaïenne : depuis le 10 juillet, conformément à la loi sur la transparence de la vie publique votée en 2013 après l’affaire Cahuzac, vous pouvez vous rendre en préfecture pour consulter la déclaration de patrimoine des parlementaires à condition de ne rien révéler de ce que vous avez vu sous peine d'amende. Vous serez donc hautement surveillé et, dans certaines préfectures, vous ne pourrez consulter qu'une seule déclaration. Un chemin de croix testé par Le Monde et par Le Figaro qui expérimentent les limites de la transparence.

Vous voulez connaître le patrimoine de votre député ou de votre sénateur ? Armez-vous de patience et surtout restez bouche-cousue. En effet, s’il vous fallait un microscope pour lire les déclarations d’intérêts et d’activité des parlementaires mis en ligne sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) l’été dernier, cette fois-ci, pour consulter leur déclaration de patrimoine, il faudra vous rendre dans la préfecture du département d’élection du parlementaire… à la condition de ne rien dévoiler de ce que vous avez vu sous peine d’une amende de 45 000 euros. Cette consultation est possible depuis le 10 juillet conformément à la loi sur la transparence de la vie politique votée en 2013 suite à l’affaire Cahuzac et qui fut l’objet d’une de nos émissions.

S’armer de patience donc car, à en croire Le Monde qui a expérimenté la mesure dans quatre préfectures d’Ile-de-France – Hauts-de-Seine, Essonne, Seine-Saint-Denis et Paris – la consultation n’a rien d’une promenade de santé. Il faut tout d’abord vérifier sur le site de la Haute autorité si la déclaration de patrimoine est bien accessible en préfecture. Vous devez ensuite prendre rendez-vous avec la préfecture concernée. Or toutes ne sont pas au courant de cette nouvelle possibilité et ne savent donc pas vers quel service vous renvoyer. Après de multiples coups de fil dans le vide, Le Figaro nous apprend qu’il faut demander le bureau des élections… qu'il n’est pas évident à joindre en plein mois de juillet.

Une fois le rendez-vous obtenu – ce peut être pour le lendemain – vous devez penser à prendre votre carte d’identité et votre carte d’électeur. Nul besoin d’être électeur de la circonscription. Sur place, raconte Le Monde, l’accueil qui vous est réservé diffère selon les préfectures : "dans les Hauts-de-Seine, quelqu’un vient à votre rencontre le dossier sous le bras et vérifie vos papiers avant toute chose ; dans l’Essonne et en Seine-Saint-Denis, on vous laisse monter tout seul au service ad hoc". Ensuite, les responsables de service doivent télécharger la déclaration de patrimoine que vous souhaitez consulter sur le site de la HATVP "grâce à une clé cryptée, puis [la] détruire – ou conserver sous verrou – une fois la consultation terminée". Attention : certaines préfectures vous permettent d’en consulter une seule par rendez-vous. D’autres vous autorisent à consulter autant de déclarations que vous voulez – toujours pour les parlementaires élus dans la circonscription – pendant une heure.

Puisqu’il ne faut rien divulguer, vous êtes donc sérieusement surveillé. Ainsi vous devez laisser votre téléphone dans une boîte en carton voire retirer votre montre – elle pourrait abriter un petit appareil photo. On vous demande également de rester éloigné de vos sacs et "on ne vous laisse d’ailleurs jamais seul, quitte à ce qu’un agent reste assis juste à côté pendant tout le temps" de la consultation ajoute Le Monde. Mieux : selon Le Figaro, "pour prévenir l'utilisation d'un éventuel dictaphone, il est prohibé de parler".

Ce luxe de précautions ne servira pas à grand-chose, vu que les journalistes ne peuvent rien révéler, hormis à la Haute Autorité si jamais ils croient avoir décelé une anomalie. On apprend tout de même dans Le Monde que, "en préambule de certains dossiers – dont ceux de M. Balkany et M. Dassault –, [la HATPV] a inséré une note pour préciser quand elle avait eu un «doute sérieux» sur la déclaration et donc saisi la justice". Etait-ce bien nécessaire d’aller en préfecture pour le découvrir ?

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