Paris 2024 : les JT de France 2 ignorent les contestations
Alizée Vincent - - Silences & censures - 33 commentairesDans les journaux des quinze jours pré-cérémonie d'ouverture, 103 sujets sur les Jeux. Seuls 3 angles critiques.
Les JT de 13 h et de 20 h de France 2 ont largement traité la préparation des Jeux olympiques et paralympiques. Dans la quasi-totalité des sujets, la rédaction a adopté un regard dithyrambique, en négligeant les critiques - pourtant nombreuses - envers Paris 2024.
Voilà des mois que France 2 attend avec impatience la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques, au point d'en avoir fait une édition spéciale du 20 heures à J-365 de l'évènement, le 26 juillet 2023. Un an plus tard, la préparation de Paris 2024 fait toujours autant briller les yeux de France Télévisions.
Le service public, diffuseur officiel de la compétition, a consacré aux Jeux une large part de ses journaux télévisés. D'après notre recension, sur les quinze derniers jours avant la cérémonie d'ouverture, le 13 Heures et le 20 Heures de France 2 ont dédié 3 h 20 de temps d'antenne à Paris 2024, sur lesquelles on ne compte que 5 minutes de critique. En tout, sur 103 sujets dédiés aux Jeux, seuls 3 ont évoqué un angle critique. Et ce malgré de nombreuses contestations.
Flamme "fantastique" et peuple "conquis"
Le compte à rebours des quinze derniers jours s'est ouvert avec une annonce qui a réjoui France 2 : les noms des porte-drapeaux de la cérémonie d'ouverture, Mélina Robert-Michon et Florent Manaudou. L'info a carrément fait l'ouverture du 20 Heures le 11 juillet. Les jours suivants, la chaîne a traité l'arrivée d'athlètes canadien·nes en France (à qui l'on devrait remettre la "médaille d'or de l'hospitalité", selon le commentaire) ; a mis à l'honneur un bataillon de l'armée dans lequel opèrent plusieurs athlètes (une "véritable pépinière de champions") ; puis s'est enthousiasmée de la présence future de la flamme olympique au défilé du 14 juillet (comme un air de "magie"). L'angle des "coulisses" du spectacle est l'approche préférée de France 2. Ses journalistes nous emmènent découvrir les derniers chantiers de la capitale et des terrains de compétition (dans des "lieux iconiques", gérés avec une "précision millimétrique"). À la fin de cette première semaine, aucune mention des problématiques associées à Paris 2024. Est simplement évoqué, en une phrase, le 14 juillet, le "bémol" que constituent les QR codes requis pour accéder à certains espaces de la capitale française. Mais rassurez-vous : le public, nous dit-on, reste "conquis".
La jubilation continue en suivant le parcours de la flamme à Paris - c'est "à couper le souffle", "historique", on en prend "plein les yeux", selon les journalistes. La rédaction donne tantôt la parole à des passant·es qui trouvent le spectacle "somptueux", "fantastique", "grandiose", tantôt à des personnes qui se réjouissent de leur "privilège", de "l'esprit de fête" ou à d'autres quidams, "les larmes aux yeux", pour qui l'expérience sera "un souvenir à vie", "à jamais gravée dans la mémoire", "iconique". Seule ombre au tableau : la présence de "militants" venus faire entendre "leurs revendications" (lesquelles ? On ne sait pas). Mais, ouf, "ils ont été maîtrisés", rassure la voix off.
"Un traitement juste aurait donné la même place aux bienfaits des Jeux qu'à leurs revers"
Ces militant·es, ce sont les activistes du Revers de la médaille, un collectif d'acteurs·rices de la solidarité, qui plaident pour une réflexion sur "l'impact social" des Jeux. Paul Alauzy en est l'un des membres. Pour Arrêt sur images, il raconte l'épisode. Cela se passe place de la République, à l'arrivée de la flamme à Paris : "On était au balcon d'un appartement qu'on avait loué spécialement pour l'occasion. Et on avait déployé une banderole «JO = 12 000 expulsé·es. Ne laissons pas l'exclusion en héritage». On a craqué des fumigènes, on a crié, on a chanté." Mediapart en a fait un reportage. Paul Alauzy regrette le fait d'avoir été gommés du récit médiatique. "On s'attendait à être beaucoup plus à être invités sur le service public." Au sujet des critiques, il ajoute : "Ça fait partie de Paris. On est un pays de solidarités, de mouvements sociaux, de contestations. Ça devrait être valorisé, qu'il y ait des actions ni violentes, ni insultantes, qui mettent en valeur cette cause nationale."
Pour l'association, "un traitement juste aurait consisté à donner la même place aux bienfaits des Jeux qu'à leurs excès, leurs revers". Les médias auraient pu et dû, selon Paul Alauzy, parler "plus du nettoyage social" - l'évacuation de campements de migrant·es à Paris, ou de sans-abris envoyé·es en régions - mais aussi des "promesses non tenues" des Jeux. Celles d'une "grande fête populaire", inclusive et écologique. "Malheureusement, la situation sociale s'empire", constate Paul Alauzy. Le Revers de la médaille dénonce par exemple la gestion des logements sociaux, l'endommagement de sites naturels, les sponsors d'entreprises polluantes, les mesures sécuritaires (comme la surveillance algorithmique). La rédaction de France 2 n'a pas répondu à nos sollicitations, ni à nos questions précises à ce sujet.
Les JT n'ont pas totalement balayé les critiques adressées à Paris 2024. Ont été diffusés, notamment, un sujet sur la "confusion" liée au périmètre de sécurité, un autre sur le "casse-tête" des QR codes, et un troisième sur la désertion de certains commerces situés dans les zones protégées. Rien, en revanche, sur les enjeux soulevés par le Revers de la médaille. Dans d'autres programmes de France Télévisions, précise Paul Alauzy, le collectif a été invité en plateau : "Sur France info, France 3 Île de France, on a eu quelques sujets, et même des sujets d'enquête, donc il y a des journalistes qui prennent cela au sérieux". Il fait référence, notamment, à l'émission Complément d'enquête qui a consacré une enquête, en mars, aux coulisses et aux finances de Paris 2024. Mais, dit-il, "noyer ces informations sous des tonnes de propagande olympique positive, c'est accroître l'invisibilisation de certaines personnes : les plus fragiles, les personnes à la rue, les plus exclus, ceux qui dérangent." Il ponctue : "C'est une forme de nettoyage social journalistique."
Parler des stars plutôt que des couacs
La majorité du temps, l'ambiance reste toujours aux confettis. France 2 souligne le "pari réussi"de "ces petites et moyennes entreprises françaises dopées par les Jeux" ; s'enthousiasme du sourire du "public conquis" face aux répétitions sur la Seine ; ou du "franc succès" qu'est le village olympique, "très apprécié" des athlètes. Les décors de la cérémonie et les sites des compétitions ("sublimes") ont "de quoi susciter l'enthousiasme des riverains", qui se préparent à "la magie du spectacle", dit encore le JT. Les passant·es interrogé·es lors de micro-trottoirs le confirment. La plupart se disent ravi·es de voir un Paris vide, de ce"silence inhabituel". Il n'est que très brièvement fait mention des soucis rencontrés par les automobilistes ou les cyclistes, à qui les forces de l'ordre délivrent des informations parfois contradictoires, et qui voient leur trajets considérablement allongés.
Lorsqu'ils ne soulignent pas le côté "paillettes" de la fête, les JT en font des tonnes avec les mesures de sécurité. La Seine est "placée sous très haute surveillance". Le dispositif est "très vaste".
Les invité·es en plateau des JT, comme le président du Comité d'organisation des Jeux Tony Estanguet, le répètent en chœur, dans tous les sujets : "Tout est prêt." Il n'est pas interrogé sur les problématiques écologiques ou sociales, mais plutôt sur la participation, ou non, de Céline Dion aux festivités. Paul Alauzy est habitué : "On a beaucoup interrogé Tony Estanguet, lors de son passage sur France inter par exemple, sur les personnalités qui allaient se baigner dans la Seine, ou les artistes qui participeraient à la cérémonie d'ouverture, comme les Daft Punk..."
De toute la quinzaine pré-cérémonie, donc, rien sur les problèmes d'approvisionnement de nourriture au restaurant olympique, conduisant au rationnement de certains aliments, rien sur le vol d'un joueur argentin dans un vestiaire (50 000 euros de préjudice, selon l'intéressé), sur la débâcle économique pour les hôtels parisiens et les terrasses, la répression de certains militants, les difficultés d'accès à plusieurs hôpitaux, le prix des tickets de métro (4 euros, soit le double du prix habituel), les difficultés de circulation des personnes à mobilité réduite dans les rues bordées de barrières, l'insalubrité dénoncée par certains agents logés pour les Jeux, ou la grève annoncée des danseurs·euses de la cérémonie d'ouverture... Des sujets pourtant largement traités par les télé internationales, de la BBC à sa version australienne ABC, mais aussi la chaîne états-unienne CBC ou la qatarie Al-Jazeera... Mais aussi par une rédaction française, qui a surpris Paul Alauzy : "La chaîne qui nous a le plus invités : BFMTV."