"Panique chez les ploutocrates" (Krugman, NYT)
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires
Dans sa dernière chronique, "Panique chez les ploutocrates" (traduite ici), Paul Krugman, éditorialiste du New York Times et prix Nobel d’économie 2008, affirme que le centième de pourcent le plus riche des Etats-Unis a clairement les pétoches. Est-ce parce qu’ils ont lu le vite-dit d’Alain Korkos sur les 99% restants? Peut-être. Pour Krugman, cette panique est décelable à la lecture de leurs réactions hystériques, injurieuses, quand elles ne sont pas ridicules, aux critiques les plus modérées du système économique et financier.
L’éditorialiste rapporte quelques perles entendues dans la bouche de républicains évoquant les manifestations d'Occupy Wall Street (lire le reportage de Camille Hamet, correspondante d’@si, siouplaît) : Mitt Romney, candidat à l'investiture républicaine aux élections présidentielles, les accuse de "mener la lutte des classes" ; Herman Cain, autre candidat, les traite "d’anti-Américains" ; Michael Bloomberg, maire de New York, leur reproche d'essayer "d'arracher les emplois à ceux qui travaillent dans cette ville". Et, ajoute Krugman, "si vous avez écouté les têtes pensantes sur CNBC, vous avez appris que les manifestants «font flotter leur drapeau digne d'un phénomène de foire» et sont «dans la lignée de Lénine»."
Krugman constaste que cette charge fait écho à celle des financiers réagissant l’an dernier aux propositions, pourtant tièdes, d’Obama, qui voulait imposer un peu plus les très riches. A l'époque, rappelle l'éditorialiste, "Stephen Schwarzman, PDG de Blackstone Group, a comparé ces propositions à Hitler envahissant la Pologne".
Autre cible des républicains et des financiers : Elisabeth Warren. Honnie de Wall Street, cette prof d’économie d’Harvard et ancienne conseillère à la Maison Blanche chargée de la réforme financière, fait l’objet de railleries depuis que circule sur le Net une vidéo où elle déclare, dans une réunion style Tupperware : "Personne dans ce pays n'a fait fortune seul. Personne !" La voici |
Warren rappelle que les usines créées aux Etats-Unis ont bénéficié de routes payées par tous, embauché du personnel dont l'éducation a été payée par tous, mis à l'abri des stocks protégés par la police payée par tous. Et donc que ces usines étaient redevables d'une part du contrat social. Ont suivi des quolibets que Krugman résume en une phrase : "A écouter les défenseurs acharnés des gens riches, on pourrait penser que Warren incarne un second Leon Trotsky." La guerre entre Warren et le monde de la finance est déclarée de longue date, comme le montre le portrait que lui consacre Rue89.
Une vieille guerre donc, mais pour Krugman, l’hystérie d’aujourd’hui prouve que la position des "maîtres de l'Univers de Wall Streetest moralement indéfendable". Pour eux, "plus une personne est raisonnable et mesurée dans ses critiques, plus il est urgent de la diaboliser, d'où le dénigrement acharné contre Elizabeth Warren". Dans le genre acharnement, le camp républicain s’appuie sur les révélations du Boston Herald (un canard pas franchement à gauche) pour dénoncer la somme versée à la prof par une compagnie d’assurance pour son aide dans une bataille juridique contre des victimes de l’amiante. Les républicains persiflent : "Quand elle dit que personne n’est devenu riche par soi-même, on dirait qu’elle parle d’expérience".
A noter : de nombreuses chroniques de Paul Krugman sont traduites par la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone), et accessibles en français sur son site Internet. A noter encore : comme nous l’apprenait Dan Israel dans un vite-dit sur les conflits d’intérêt de l’économiste Nouriel Roubini, Krugman, lui, a abandonné tous ses postes de conseiller lorsqu'il a démarré sa chronique dans le New York Times.