OGM : comment Monsanto a effacé une étude critique (Le Monde)
Robin Andraca - - Silences & censures - 0 commentaires Voir la vidéoUn "torpillage".
Ce 5 octobre, Le Monde raconte comment Monsanto a oeuvré, en coulisses, pour obtenir la rétractation d'une étude.
Le Monde, 5 octobre 2017
Une étude qui ne lui était pas franchement favorable : publiée en 2012 par le biologiste français Gilles-Eric Séralini, elle affirmait que plusieurs rats nourris avec un maïs transgénique et/ou au Roundup (l'herbicide de Monsanto à base de glyphosate) avaient développé des tumeurs énormes.
Les rats en question avaient fait la une de la presse mondiale, entamant sérieusement l'image de Monsanto et déclenchant une bataille entre pro et anti-OGM sur les plateaux télé français. Les pro estimaient notamment que le nombre d'animaux étudiés était trop faible, ou que ce type de rat utilisé développait plus facilement des tumeurs. Séralini aussi était visé, lui qui avait été recadré par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments en 2007, après une expérience similaire sur des rats (avec un maïs OGM, le Mon 863). "La méthode statistique de l'auteur a conduit à des résultats trompeurs", avait déclaré à l'époque le commissaire européen à la Santé. Et la campagne des pro-OGM avait été couronnée de succès : en 2013, l'étude avait été retractée, puis effacée, de la revue scientifique Food and Chemical Toxicology, pour son manque de "conclusion probante". Une première dans l'histoire du magazine scientifique.
Un rédacteur en chef lié à Monsanto
Quatre ans plus tard, Le Monde raconte les coulisses de cette décision : c'est Monsanto qui a fait pression pour désavouer cette publication. Comment ? Grâce au rédacteur en chef de la revue, Wallace Hayes, alors lié par un contrat de consultant à Monsanto, ce que personne ne savait à l'époque. Sa mission, rémunérée 400 dollars de l'heure, dans une limite de 3200 dollars par jour et un total et de 16 000 dollars ? Développer un réseau de scientifiques sud-américains prêts à participer à un colloque sur le glyphosate.
Ce n'est pas tout : le rédacteur en chef de la revue s'est ensuite affairé pour que la revue reçoive plusieurs "lettres à l'éditeur", signées par la communauté scientifique, pour que la revue puisse justifier la suppression de l'étude. Des échanges de mails, publiés par Le Monde, le prouvent. En septembre 2012, l'un des toxicologues de Monsanto, David Saltmiras, écrit à des collègues : "Wally Hayes m’a appelé ce matin en réponse à mon message d’hier. Il s’est inquiété de ne recevoir que des liens vers des blogs ou des billets publiés en ligne, des publications de presse, etc., et aucune lettre formelle à l’éditeur". Avant de poursuivre : "Il a donc un besoin urgent de lettres formelles à l’éditeur, objectives, rationnelles et faisant autorité (...) Je pense qu’il aimerait recevoir ces lettres aujourd’hui". Deux mois plus tard, une demi-douzaine de lettres individuelles et une lettre collective signée par 25 chercheurs sont publiées dans la revue. En janvier 2014, Hayes justifie dans un éditorial la suppression de l'étude en citant "les nombreuses lettres exprimant de l'inquiétude quant à la validité de ses conclusions". Le tour est joué.
Cette enquête du Monde est signée par deux journalistes, Stéphane Hornel et... Stéphane Foucart, invité en 2012 sur notre plateau aux côtés du biologiste Séralini. En fin d'émission, Foucart avait confessé qu'il ne "croyait" pas en l'étude de Séralini : "Moi, à titre personnel, je n'y crois pas. Je ne crois pas que les OGM, ça puisse faire des choses aussi massives (...) Une étude qui montre quelque chose de super massif, d'incroyable. 24 études qui montrent rien (...) Aucune autre étude n'a observé quelque chose d'aussi énorme".
Croit-il davantage à cette étude après avoir découvert son torpillage par Monsanto ? Non. "Je maintiens à la virgule près ce que j'ai dit sur le plateau à l'époque. Je pense toujours que ces travaux ne sont pas convaincants. D'un point de vue statistique, cette étude n'a pas la puissance nécessaire pour prouver un lien entre l'OGM et les effets qu'ils montrent", répond Foucart, contacté par @si. Toutefois, le journaliste reconnaît qu'il n'aurait pas écrit de la même façon son article de 2013, sur l'étude désavouée du professeur Séralini, s'il avait su ce qu'il sait aujourd'hui : "J'aurais beaucoup plus insisté sur le fait que le retrait était une décision inédite dans l'histoire de la revue".
L'occasion de revoir notre émission : "Si on me prouve que les OGM sont dangereux, je l'écrirai"