Morano, et sa marionnettiste Barma
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesQuatre jours durant, on résiste. On se dit, non, pas elle, pas encore.
Quatre jours on résiste à foncer dans le piège de l'indignation promotionnelle, sur la dernière sortie de Nadine Morano, chez Ruquier, à propos de la France, pays de "race blanche". Consacrer du temps, de l'énergie, de l'espace, à s'indigner de la sortie raciste de Morano, à recenser les réactions, à déplorer l'absence de réactions, c'est nourrir les débats low cost qui polluent la scène médiatique.
Et puis le scandale se traine, s'étire, sera-t-elle ou non sanctionnée par Sarkozy, le scandale s'installe, squatte les chaînes d'info continue, impossible d'y échapper. Et s'il n'y avait que les medias mainstream ! Mais le matin où Morano vient s'expliquer sur Europe 1, c'est sur elle que piaille twitter plutôt que sur Valls, qui parle au même moment sur France Inter. La trash télé veut du Morano. Twitter veut du Morano. On est cernés par Morano.
A quoi ressemble-t-elle, la machine à produire du Morano à flux continu ? Derrière Morano, il y a Ruquier, et derrière Ruquier, il y a Catherine Barma, la productrice d'On n'est pas couché. Celle qui décide d'inviter Morano. Et si Barma invite Morano, c'est exactement pour ça, pour que Morano dérape, sur un point ou un autre, peu importe, qu'elle renverse son verre de gros rouge sur la nappe, et que ce dérapage squatte ensuite le débat au début de la semaine, nourrissant l'attente pour l'émission du week-end suivant.
Par définition, Barma est invisible, devrait rester invisible, comme le marionnettiste. Que serait Guignol, si on voyait le marionnettiste ? Mais un reportage du Supplément de Canal+ nous la montrait pourtant, ce même week-end, redessinant les plans de table de son émission, traquant dans la nuit parisienne l'humoriste-buzz de demain, expliquant à son chroniqueur Yann Moix qu'il ne fallait pas (trop) faire "chiant", et claquant la bise à Morano, justement, en l'accueillant à l'émission. Le reportage terminé, Barma s'indignait sur le plateau que l'on ne retienne que cet aspect de ses émissions, les engueulades, les clashes, les verres d'eau rageusement balancés. Elle avait raison, d'ailleurs. Ardisson hier, et aujourd'hui Ruquier, ce n'est pas seulement une compile de clashes. Ce sont aussi des espaces où peut se déployer de la parole libre, de la parole artistique, littéraire. La pollution Morano, cet attrape-grand public, est le prix à payer pour entendre, dans la longue durée, Angot, Houellebecq ou Moix. C'est l'éternel pacte faustien de la télé à claques.