Mobilisation climat : et le monde découvrit les "gazeuses" françaises

Justine Brabant - - 60 commentaires

Des images de CRS aspergeant de gaz lacrymogène des militants écologistes à Paris, le 28 juin 2019, ont fait le tour du monde. Des pratiques qui pourraient contrevenir aux règles d'usage de ces gaz et donner lieu à enquête administrative. Pour Amnesty, il s'agit d'un "cas d'usage excessif et arbitraire de la force".

Quelques dizaines de manifestants sont assis sur la chaussée, la plupart vêtus de shorts et coiffés de chapeaux de paille. Ils brandissent une banderole "Act now" (Agissons/Agissez maintenant) frappée du logo en forme de sablier d'Extinction rebellion, ce mouvement écologiste international qui pratique la désobéissance civile. Ce vendredi 28 juin au matin, ils ont entrepris d'occuper le pont Sully, à Paris, dans l'espoir de bloquer la circulation et provoquer une paralysie monstre de la ville, comme à Londres en avril dernier. Mais l'opération tourne court : ils sont délogés en quelques heures.

Dans une vidéo d'une minute quarante-six, on les voit encerclés, agrippés les uns aux autres, et surtout abondamment gazés à hauteur de visage par des CRS à l'aide de leurs bombes aérosol lacrymogènes. Tournées le 28 juin par le vidéaste Clément Lanot puis mises en ligne sur Twitter, ces images de la manifestation écolo parisienne ont, 24 heures plus tard, été vues plus de 800 000 fois.

La presse française les a largement reprises. Mais, fait plus rare, elles sont également arrivées jusque dans les colonnes de journaux américains, dont le site américain BuzzFeed News, qui titre "La police anti-émeute asperge de gaz lacrymogène à bout portant des militants pour le climat".

Le site du New York Times (reprenant une dépêche de l'agence Reuters) ou encore celui de la BBC ont également consacré des articles et dépêches à la manifestation, revenant sur l'utilisation de gaz lacrymogènes.

Mais au-delà des médias traditionnels, le monde a surtout fait connaissance avec les gazeuses des CRS français à travers des (dizaines de) milliers de partages sur les réseaux sociaux. L'itinéraire des images virales de lacrymos commence par quelques retweets de militants. Le caractère international d'Extinction Rebellion est un atout pour faire sortir la vidéo de nos frontières : "En plus des journalistes qui étaient là et que nous avions prévenus par communiqué de presse, nous avions aussi une petite équipe de 'médiactivistes' qui filmaient en live, postaient au fur et à mesure sur les réseaux sociaux, et étaient repris par les branches d'Extinction Rebellion à travers le monde", détaille à ASI Sophia Karpenko, militante d'Extinction Rebellion qui était le "contact presse" pour la manifestation du 28 juin.

Celles de Clément Lanot, les plus vues à ce jour, commencent également par être retweetées par quelques comptes militants au nombre d'abonnés modeste. Puis leur partage par quelques célébrités écolos va les rendre définitivement virales à l'étranger. Le tweet du journaliste indépendant français est d'abord repris par le météorologue américain Eric Holthaus (470 000 abonnés), connu pour son engagement contre le réchauffement climatique...

... avant d'être repartagé par l'une des militantes écologistes les plus influentes du moment, Greta Thunberg (709 000 abonnés) :

"Regardez cette vidéo et demandez-vous; qui défend qui ?" commente l'adolescente. Comme elle, de très nombreux internautes anglophones s'interrogent sur le comportement des CRS français. "Fonctionnaires 1A et 1C - si vous avez des enfants, ils vous jugeront sévèrement pour votre comportement affligeant d'aujourd'hui" écrit par exemple un internaute américain, interpellant les deux CRS (identifiables sur la vidéo par le numéro qu'ils portent sur le dos) qui semblent manier la gazeuse avec le plus de zèle. "Est-ce comme cela que la France traite ses citoyens ? Honte à eux" réagit un autre twittos anglophone.

un "usage excessif et arbitraire de la force" pour amnesty

Impressionnantes, ces images montrent-elles pour autant des pratiques interdites ? Elles pourraient bien, a minima, constituer une violation des règles d'usage de ces armes de défense.

Pour comprendre les textes qui encadraient l'usage de ces bombes lacrymogènes, nous avons posé la question au Service d'information et de communication de la police nationale (SICOP). Après avoir rappelé le cadre réglementaire qui autorise les policiers à faire usage de la force pour disperser un attroupement (les articles L211-9 du code de sécurité intérieure et 431-3 du code pénal français), le SICOP nous a répondu plus précisément sur les aérosols : "Les règles d'usage - qui ne figurent pas dans un texte particulier mais font partie de la formation de tous les policiers - préconisent de ne pas en faire usage à moins d'un mètre du visage d'une personne". Si des entorses à ces règles sont relevées, elles peuvent donner lieu à une enquête administrative menée soit par la cellule d'enquête de la direction centrale (en l'occurrence, il s'agirait de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité), soit par l'IGPN, précise la SICOP.

Les CRS ont-ils respecté cette distance minimum d'un mètre ? Au vu de certaines images de la manifestation, la question se pose. (Petit "truc" pour tenter d'évaluer la distance : une coudée d'homme, soit la distance entre son coude et le bout de ses doigts, mesure en moyenne 50 cm).

Pour Amesty International, également interrogé par ASI,  les images filmées sur le pont de Sully montrent clairement un cas "d'usage excessif et arbitraire de la force". Au-delà de la distance d'utilisation des bombes lacrymogènes, l'ONG de défense des droits de l'homme estime que les CRS n'ont en effet pas respecté les deux règles qui doivent régir l'usage de la force : la nécessité et la proportionnalité. "D'après ce que montrent les vidéos, il n'y avait pas de nécessité (il suffisait pour la police d'agripper les manifestants, le gazage a montré qu'il n'était pas utile), ni de proportionnalité (il s'agissait d'un attroupement pacifique et non violent)" détaille le responsable du programme liberté d'expression et défenseurs des droits humains pour Amnesty International France, Nicolas Krameyer.

Les services de communication de la police indiquent qu'à leur connaissance, aucune enquête n'a encore été ouverte sur la base de ces images - ou d'une éventuelle plainte de manifestant.

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