Moati aime Le Pen

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

L'amour a ses raisons. Pauvre Serge Moati !

Il faut le voir, au Petit journal, expliquer que oui, il aime Le Pen. Pas la fille ("je la connais moins"), mais le père. Il l'aime. Pas ses idées, non bien sûr, quelle horreur, le détail de l'Histoire, tout ça. Mais l'homme. Tellement sympa dans la vie, la vraie vie. Il y a la vie, et il y a les idées. C'est deux choses. Lui, juif, franc-maçon, et de gauche, s'il s'y attendait. Mais ça lui est tombé dessus, comme un coup de foudre. On ne décide pas. "Vous le tutoyez ?" lui demande Barthès. Evidemment, il le tutoie. Comme Sarkozy ou Hollande. A force de les filmer. Mais s'agissant de Le Pen, ça va bien au-delà. Tant de bons moments partagés. Barthès : "Vous vous souvenez du meilleur moment ?" Oui, le soir où Marine Le Pen est devenue présidente du FN, son père a chanté, et dansé. Quel bon moment ! Bref, il l'aime tellement qu'il en a fait un livre. Chez Flammarion. En vente partout.

On en est là, à plaindre le naufrage, quand Barthès envoie un extrait du prochain film de Moati. Les Le Pen, père et fille, sont avachis dans une loge, après le discours d'intronisation de Marine Le Pen comme présidente du FN. Il est tourné vers elle. On parle boutique. Technique des meetings. Importance du ventilateur. De la pendule. Nécessité de toujours vérifier le micro. Et les ventilateurs des loges, aussi. Toujours toujours. Elle écoute distraitement. Il lui donne des conseils. "Je pense que tu as besoin d'une chose" On tend l'oreille. "C'est prendre des cours d'orthophonie". Zoom avant sur les deux visages. "Parce que tu chutes un peu sur les finales des phrases". Il appuie sur "finales". En technicien. Elle le regarde. Lui : "Faute de souffle". Elle, impénétrable : "Non mais t'as raison". Elle se lève. Exaspérée ? Qui saura ? "Tu es à un stade où il faut une organisation professionnelle". Elle est sortie du champ.

Papa et fifille, au sommet du FN. Papa qui veut envoyer fifille chez l'orthophoniste. La vérité profonde, indicible, des rapports d'une monstrueuse famille si ordinaire. Oui, indicible, comme le disait l'autre jour sur notre plateau le collègue Yves Jeuland, parce qu'elle laisse chaque spectateur libre d'y trouver ce qu'il voudra. Sacré Moati ! N'importe quel documentariste aurait donné un an de sa vie, pour cette image. Les reporters de Barthès peuvent bien tendre leurs micros, capter tous les bâillements du monde, tous les grattages de nez, ils ne capteront jamais ça. Et si papy Moati a décroché le pompon, si c'est lui qui était là, dans la loge, à cet instant, si proche des deux, c'est bien pour ça, parce qu'il a noué avec le père Le Pen cette relation inexprimable, inavouable, qui le fait bafouiller sur le plateau, se perdre dans d'impossibles explications sur l'homme Le Pen, tellement plus sympa dans la vie. Sacré Moati. Sacré métier, documentariste.

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