Ministères boulimiques de com' (Cour des comptes)

Dan Israel - - 0 commentaires

Quand la Cour des comptes se penche sur les dépenses de communication des ministères, elle frappe fort, et tout le monde en prend pour son grade.

Mercredi, le site de France Télévisions a révélé un rapport de la Cour, rendu le 17 octobre 2011 à la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Les informations ont depuis été reprises un peu partout, notamment sur Libération.fr et Mediapart (accès abonnés), qui le publient en version intégrale.

Que dit ce texte, qui parcourt la période 2007-2010 ? Que les dépenses de communication de Matignon, du Service d'information au gouvernement (SIG), et des dix principaux ministères avaient augmenté de "plus de 50%" entre 2006 et 2009, avant de redescendre un peu entre 2009 et 2010, avec une baisse de 6%.

Dépenses effectuées loin des règles de bonne gestion publique: le rapport pointe des "conditions d’achat parfois contestables, voire irrégulières", notamment lorsqu'il s'agit de prestations de "coaching" et de "conseil stratégique". En d'autres termes, lorsque les ministres veulent s'entraîner à mieux parler dans les médias, ou qu'ils ont besoin de savoir quel discours servir aux micros, ils ne regardent pas à la dépense et ne sont guère à cheval sur les normes comptables : "Le contrôle du service fait et la conservation des pièces justificatives ne sont pas toujours assurés", assurent les magistrats.

En première ligne des reproches sur les irrégularités, le cabinet de conseil de Pierre Giacometti, l'ancien patron d'Ipsos, très proche de Nicolas Sarkozy, et l'un de ses principaux conseillers. Certains contrats ont été conclus avec lui "en dehors de toute publicité et mise en concurrence". "Bout à bout, tous les contrats entre le gouvernement et le cabinet Giacometti-Péron & Associés épinglés par la Cour des comptes - sans compter, donc, ceux passés sans irrégularités - représentent un peu plus de 1,7 million d'euros entre 2008 et 2010, note Francetv.fr. L’équivalent de ce que le cabinet touche, par ailleurs, grâce à ses contrats avec… l’Elysée !"

Mêmes problèmes, pour des montants moindres, pour Jean-Luc Mano, ancien directeur de l'information de France 2 et actif conseiller en image des politiques. Interrogé par Lemonde.fr, Libé ou Rue89, Giacometti ne voit pas le problème : " "En tant que prestataire , nous nous assurons de la légalité des contrats que nous signons, assure-t-il par exemple au Monde.fr. Quand tel ou tel ministère nous assure avoir pris les dispositions nécessaires pour que le respect du code des marchés publics soit assuré, nous n'avons pas de raisons d'en douter. Le problème que pointe la Cour des comptes quant à la bonne exécution des marchés publics n'est pas de notre ressort."

A Rue89, il avance une explication étonnante pour justifier le fait que certains ministères aient été incapables de prouver la réalité de ses services : "Nous remettons à chaque cabinet ministériel un rapport qui répertorie l'ensemble de nos interventions et des documents produits, et c'est à lui de décider s'il convient de transmettre ces documents à la Cour des comptes. Il y a une certaine limite à la transparence totale des documents confidentiels qui circulent dans l'univers gouvernemental." Si l'on comprend bien, la Cour des comptes, organe public, n'aurait pas le droit de savoir comment travaillent les ministères avec l'argent public !


+ 40% de hausse pour les sondages des dix principaux ministères

Jean-Luc Mano, lui, détaille pour Rue89 ses prestations : "En général, nous avons une réunion hebdomadaire avec le ministre et une avec les membres du cabinet chargés de la communication. Nous faisons du media training, par exemple pour la préparation des émissions importantes, pour “challenger” les éléments de langage fournis par le cabinet. Nous produisons aussi des notes écrites, analysant les médias et les réactions de la société."

Parmi les autres dépenses, les sondages, dont l'utilisation par l'Elysée avait fait l'objet d'un rapport très critique de la Cour en 2009. Les enquêtes d'opinion commandées par les dix principaux ministères ont coûté 30 millions d'euros en quatre ans, soit une hausse moyenne de 40% durant cette période. De plus, ils ont parfois servi directement les ambitions personnelles de ministres, comme Laurent Wauquiez, qui a commandé en 2010 une étude pour vérifier sa notoriété, son "dynamisme", son "courage", sa "sympathie", sa "modernité" ou sa "sincérité".

Parmi les autres anomalies relevées, la députée socialiste Delphine Batho en souligne une singulière sur son blog : "On apprend que la chaîne de télévision privée Histoire, qui fait partie du groupe TF1 et dont le directeur général est Monsieur Patrick Buisson, a bénéficié d’un contrat de parrainage du Ministère de la Culture d’un montant de 35000 € en 2008, de 65000 € en 2009, partenariat reconduit en 2010 et 2011, sans que le ministère de la Culture n’ait bénéficié des contreparties prévues. On se demande en quoi une chaîne du groupe TF1 a besoin de bénéficier de fonds publics."

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