Militaires / Soubelet : un général tacle Juppé sur le devoir de réserve
Manuel Vicuña - - 0 commentaires
"Un militaire, c'est comme un ministre: ça ferme sa gueule ou ça s'en va". Le 25 avril dernier, face aux étudiants de Science-Po à Bordeaux, Alain Juppé prononçait cette sentence assassine. Une réponse martiale au général Bertrand Soubelet, ex-numéro 3 de la gendarmerie et récent auteur de "Tout ce qu’il ne faut pas dire", un livre qui tire à boulets rouges sur la politique pénale du gouvernement et le "laxisme" des juges et qui vient de lui coûter son poste, comme @si vous le racontait ici. Pour Juppé pas de doute : "Si on laisse à chaque militaire la possibilité de critiquer les gouvernements, il n'y a plus de gouvernement". "Faux" lui répond aujourd’hui, un autre haut gradé, Vincent Desportes.
"Réponse à l'emporte-pièce"
Dans une tribune publiée ce mercredi 4 mai dans Le Monde, cet ardent défenseur du droit d’expression des militaires adresse une réponse cinglante au candidat à la primaire des Républicains. "Monsieur Juppé, les propos que vous avez tenus le 25 avril devant les étudiants de l’IEP de Bordeaux sont indignes. Méprisants, ils montrent une profonde méconnaissance de la réalité stratégique." Pour Desportes l’ex-Premier ministre à tout faux tant sur la forme que sur le fond. Desportes épingle "une réponse à l’emporte-pièce", pas à la hauteur "du discernement attendu de celui qui vise la plus haute magistrature." Et le général de tacler : "Vous devez le respect à ceux qui ont dédié leur vie à la protection de cette nation que vous souhaitez diriger." Voilà donc pour la forme.
Sur le fond, Desportes qui fut lui aussi sanctionné après une interview accordée en 2010 au Monde sur la stratégie américaine en Afghanistan, défend plus que jamais un droit d’expression élargi pour les militaires. "Pourquoi nos concitoyens ne seraient-ils pas informés par «ceux qui savent», comme dans les autres domaines de l’action publique ?" Pour lui aucun doute, comme l'affirme également Soubelet : "Les militaires ont, vis-à-vis de la nation, un devoir d’alerte." Et le général de prendre pour référence les écrits et "l’exacte attitude" du général de Gaulle lors de la défaite de 1940. "Qu’implicitement vous souteniez un exécutif qui a puni d’une « mutation-sanction » un officier général dont le seul tort est d’avoir dit la vérité aux représentants de la nation dénote une attitude dangereuse."
"Vous avez tort, Monsieur Juppé"
Mais pour Desportes, l’erreur de Juppé est aussi politique. "Quelle maladresse de vous aliéner une population qui vous était plutôt favorable." Quant au livre programme du candidat Les Républicains: Desportes égratigne un ouvrage qui "ose s’intituler Pour un Etat fort, alors même que l’armée, à peine mentionnée, en est la grande absente."
Le 11 janvier dernier, le général s’était déjà fendu d’une tribune publiée sur le site de l’association de soutien à l’armée française pour défendre la prise de parole des militaires. Cette fois-ci, il se fait plus explicite encore: "Le devoir de réserve des militaires est en France trop surinterprété. Inhibé par des années de stricte obéissance silencieuse, le militaire, facilement bon élève, s’est autocensuré." Des militaires à la parole corsetée ? Une spécifité française si on l’en croit Desportes, qui cite en exemple les cas américain ou britannique. "Le politique se trompe en voulant limiter la pensée du militaire. Son devoir est au contraire de tout mettre en œuvre pour favoriser l’esprit critique dans les armées." Et le général de conclure : "Pour toutes ces raisons, vous avez tort, Monsieur Juppé."
L'occasion de relire notre enquête : "Le général «anti juges» Soubelet a-t-il le droit de tout dire ?"