Migrants/Lesbos : "Oui, je veux vous choquer" (blog AFP)

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Aider les migrants, au risque d'enfreindre la loi grecque ?

C’est un des nombreux dilemmes auxquels le reporter vidéo à l’AFP Athènes, Will Vassilopoulos, a été confronté lors de ses reportages sur l’île grecque de Lesbos, qui fait face depuis deux ans à l’afflux de réfugiés. En un an, il s’y est rendu à treize reprises, et raconte sur le blog "Making-of" de l’AFP la difficulté de couvrir une crise où la détresse humaine est quotidienne.

Le billet de Will Vassilopoulos sur le blog "Making-of" de l'AFP, 26/04/2016

À la première personne, Vassilopoulos explique l'impossibilité de "garder ses distances" et de se "comporter en professionnel, pour raconter les événements avec mesure, de façon équilibrée". L’histoire qui se joue sur cette île dépasse le regard du journaliste pour se faufiler "jusque dans la moelle de [ses] os", explique-t-il. "J’ai deux enfants, de quatre et six ans. Je ne peux m’empêcher de penser à eux en regardant ces familles. Qui sont ces gens ? Des migrants illégaux ? Des migrants irréguliers ? Des réfugiés ? Moi je vois des gens comme vous et moi."

Comment choisir les mots, et comment raconter par l'image la violence du quotidien ? Quand Alexis Tsipras ou le pape François se rendent sur l'île, le journaliste, sceptique, "ne partage pas l’excitation ambiante". Car la réalité des conditions d’accueil provisoire et de la gestion des réfugiés échappent à la mise en scène médiatique. "Pourquoi est-ce qu’on ne [leur] montre qu’un camp où tout est bien organisé et d’une propreté immaculée ? Je suis déçu". Les convois officiels repartent, et le journaliste reste en première ligne.

"Oui, je veux vous choquer"

À tel point qu'il est parfois le premier et seul contact humain lorsque les réfugiés arrivent sur les plages. Doit-il leur porter assistance, au risque de se soustraire à " cette vieille loi grecque qui interdit de venir en aide à des migrants illégaux" ? C'est en tout cas le choix qu'il a fait : le reporter leur donne des vêtements ou en fait monter neuf dans sa Fiat panda pour leur éviter de parcourir 60 kilomètres à pied. Les journalistes aident aussi parfois à transporter les cadavres, observent les enterrements sommaires dans des fosses communes, faute de places au cimetière.

Vassilopoulos filme aussi la mort. "Une ! Deux ! Trois ! Quatre ! Cinq… Vingt-huit ! Vingt-neuf ! Trente ! Deux respirations. Allez mon gars, accroche-toi ! Ne meurs pas devant ma caméra ! C’est un vrai médecin qui s’occupe de toi, qui te fait une réanimation cardio-pulmonaire. Tout va bien se passer. Tout DOIT bien se passer. Ne meurs pas devant ma caméra". Et quand son reportage est coupé par les éditeurs du bureau de l’AFP à Londres, qui le jugent "trop dur pour les clients", l'incompréhension laisse place à la rage. "Mon cul! Nous sommes des journalistes. Notre travail, c’est de montrer ce qui se passe. Et ce qui se passe à Lesbos, c’est ça. Pas seulement aujourd’hui. Tous les jours. Pourquoi empêcher le monde de le voir ? Oui, je veux vous choquer ! Mais seulement pour vous faire comprendre ce qui se passe ici. Quelque chose de sinistre, d’horrible. Peut-être que si vous êtes choqué, cela s’arrêtera (…). Mais les éditeurs avaient raison. C’était beaucoup trop dur pour montrer ça aux clients. C’était même au-delà de la dureté."

Enfin, début avril, les premières reconduites de réfugiés vers la Turquie ont débuté. "Pour moi, la boucle est bouclée. Je les ai vus arriver. Maintenant je les vois retourner. Tout ce qui s’est passé dans l’intervalle n’a compté pour rien."

(par Maxime Jaglin)

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