Migrants : la France ? Non merci !
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesIl ne manquait plus que ça. Ces réfugiés que la France accueille les bras grands entrouverts
, au généreux compte-gouttes, ces réfugiés font la fine bouche. La France ? Non merci. Si la crise migratoire de ces tout derniers jours confirme quelque chose, c'est la valeur insurpassable du reportage de terrain, dans les grands événements. Comment ces événements, pour peu qu'on les observe à la bonne distance, ni de trop près, ni de trop loin, comme l'a fait hier Le Monde dans un web-reportage polyphonique puissant et inédit, bousculent nos représentations mentales, en déversant dans les micros et les caméras grands ouverts de la parole brute, sans filtre, non raffinée par de savants montages.
Voici quelques jours, le spectacle inattendu des Allemands accourus dans les gares, avec leurs pancartes "Willkommen", déchirait cette image d'un peuple tapedur, qu'avait fossilisée la crise grecque, nous obligeant à réviser nos schémas, sans trop savoir encore, il est vrai, par quoi les remplacer. Que Merkel ait impulsé ou (comme c'est plus vraisemblable) suivi le mouvement, le résultat est là : elle pose pour des selfies avec les arrivants. Attention, éloignez les enfants, l'image ci-dessous est violente.
Violente, car elle renvoie aux oubliettes l'autre image, pourtant "juste" elle aussi, de la Merkel Tapedur des Grecs et des Espagnols. N'imaginons pas que l'une soit plus "juste" que l'autre. Essayons simplement, même si c'est difficile, de garder les deux en mémoire. de penser les deux à la fois. Et accessoirement, tentons d'imaginer Hollande dans le même exercice : c'est tout simplement inimaginable. Tout est dit.
Et voici, descendus de leurs trains, accueillis, lavés, reposés, que les personnages principaux du film commencent à parler, à sortir de leur rôle monocolore de réfugiés ou de migrants pour exprimer, non pas de grands espoirs généraux, mais des revendications, des opinions, des choix concrets. Et c'est ici que la France en prend un coup. Plusieurs indices concordent, que nous relevions hier. Dépêchée en hâte à Munich pour ramener 1000 réfugiés, une délégation de l'OFPRA peine à remplir ses filets ; quant aux petits poissons ramenés en bus dans un centre aménagé en catastrophe du Val d'Oise, ils se demandent, intrerrogés par Le Monde, s'ils ont fait le bon choix. "Nos parents ont été choqués de savoir qu'on était en France", avoue un jeune homme de 23 ans. Tout est re-dit.
Reste à s'assurer que ces premières réactions reflètent bien l'état d'esprit majoritaire. Mais si ce premier instantané devait être confirmé par toute la planche contact, alors cela ferait voler en éclats le fantasme fondateur du sarko-lepéno-zemmourisme, le fantasme de cette marée d'étrangers prête à déferler sur la France pour aspirer goulûment le nectar des "prestations sociales françaises". Ô révision déchirante : "toute la misère du monde" se fout de la Sécu. Elle veut bosser, et vite. Et elle ne refuse pas, en outre, d'être accueillie avec politesse. Restera alors à comprendre comment ce fantasme fondateur s'est imposé, incrusté, au fil des décennies. Quant aux conséquences politiques en France, elles pourraient bien être considérables. Ou pas. N'anticipons pas.