Marchand face à Pietraszewski : "Je ne suis pas un porte-micro"
Lynda Zerouk - - Médias traditionnels - 40 commentairesElle est surprise que son interview du ministre Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat chargé de la réforme des retraite, soit devenue virale. Véronique Marchand, journaliste à France 3 Régions et secrétaire générale de la SNJ-CGT, se dit effarée par les chaînes de télé qui se placent "du côté du manche, de l'élite". Entretien.
"On n'a pas beaucoup le temps monsieur Pietraszewski, alors on ne va pas tourner autour du pot, on laisse les éléments de langage de côté et on le dit très clairement : le projet a pour but de faire travailler les Français plus longtemps"
. Nous sommes au tout début de son émission Dimanche en politique
diffusée
ur France 3 Hauts-de-France, et la journaliste Véronique Marchand fait bien plus que planter le décor de son magazine hebdomadaire. Ce ton pugnace, c'est celui qu'elle emploiera tout au long de son interview de Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat chargé de la réforme des retraites invité, ce jour-là, à débattre avec Adrien Quatennens, député du Nord et coordinateur national de La France Insoumise. s
"c'est moins d'argent pour les vieux ? "
Et la séquence n'a pas échappé à un internaute, militant LFI, qui a publié un montage des questions les plus pugnaces de la présentatrice en direction du ministre. Florilège : "Pourquoi votre majorité ne veut pas entendre qu’une grande majorité des citoyens que vous représentez ne veut pas travailler plus longtemps ?"
; "Qu'on comprenne bien : vous vous voulez diminuer la part du financement des retraites dans la richesse nationale, donc moins d'argent pour les vieux ?"
Elle poursuit en rappelant que l'espérance de vie des Français - en bonne santé- atteint grosso modo 63 ans. Vouloir faire travailler les Français plus longtemps, c'est une forme de "maltraitance institutionnelle
", pose-t-elle face à Pietraszewski. Publiée ce dimanche par un internaute ayant peu d'abonnés (2000 environ), la vidéo a atteint plus de 2000 retweets. Elle a ensuite été relayée par des gros comptes, amplifiant ainsi sa viralité sur Twitter.
Merci à @vmarchand5962 d'avoir posé les questions qui dérangent : moment rare de débat politique arbitré et non pas servile au pouvoir. ?
— Phifi #GreveGenerale #ReferendumADP (@Phinsoumis) January 26, 2020
Laurent Pietraszewski et Adrien Quatennens traités d'égal à égal, enfin !
Voir le débat : https://t.co/Nk9z8XwHvG#Retraites#France3#DimPolpic.twitter.com/4aROkE8xf0
Mais le montage n'est pas exhaustif. D'autres questions auraient eu leur place dans cette vidéo d'une durée de 2 minutes 17. Ainsi, Marchand enchaîne : "Est-ce que l'âge pivot va bouger ?"
"On verra ce que disent les partenaires sociaux"
, répond le ministre. "Donc vos simulations ne seront plus justes ?"
objecte la journaliste qui fait référence à l'étude d'impact réalisée par le gouvernement. Le montage ne contient pas non plus les questions de la journaliste au député LFI, également sur le plateau. "Je n'ai pas pu tout mettre",
explique l'auteur du montage dans un tweet, et ajoute : "Cette journaliste est aussi intervenue pour interrompre Adrien Quatennens lorsqu'elle estimait qu'il devait laisser parler Laurent Pietraszewski.
Une présentation de débat qui a dû défriser la moustache des macronistes."
A quatre mois de la retraite, la présentatrice, ex-grand reporter, secrétaire générale SNJ-CGT France Télévisions, qui a fait toute sa carrière à France 3 Régions notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, se dit "choquée"
par la viralité de cette vidéo. "Ce phénomène en dit long sur l'état des médias"
, juge la journaliste politique qui assure interviewer depuis 30 ans tous ses invités, de gauche comme de droite, comme elle a interrogé Pietraszewski. Ce qui lui vaut parfois le surnom de Cruella.
ASI - Avez-vous été surprise par la viralité de cette vidéo ?
Véronique Marchand -
Oui, d'abord parce qu'il est rare que les vidéos des journalistes locaux fassent le buzz. C'est déjà arrivé pour moi sur Twitter, mais de façon plus minimale. Mais surtout, je n'ai fait que mon boulot de journaliste face à un ministre. J'ai posé à M. Pietraszewski les questions que Monsieur et Madame tout le monde se posent... Je ne suis pas un porte-micros. Il suffit de s'intéresser un peu à la littérature gouvernementale, syndicale et médiatique pour poser les questions qui vont bien, à mon sens.
ASI - L'actuel débat sur les journalistes militants ou pas militants ne vous a pas échappé. En accusant le gouvernement de faire de "la maltraitance institutionnelle", comment vous situez-vous?
Véronique Marchand -
On peut être journaliste et par ailleurs citoyen militant. Dans ce débat on retrouve toujours la droite et l'extrême droite qui s'opposent à des journalistes supposés de gauche. Pour ma part, je n'ai qu'un seul objectif dans mon travail : ne pas être un porte-micro. C'est mon militantisme.
"certaines chaînes se placent du côté du manche"
ASI - Vous
apparaissez
moins pugnace face à Quatennens, malgré quelques recadrages.
Je lui ai fait plusieurs remarques tout au long de l'interview. Je lui ai dit d'arrêter d'être trop technique, de ne pas revenir en arrière et de faire avancer le débat, j'ai rappelé que l’opposition n'est pas unie dans son positionnement politique etc. Mais il est vrai que l'homme au pouvoir, c'est Pietraszewski, c'est pour cette raison que je concentre l'essentiel de mes questions sur lui. Que cette interview ait pu générer une vidéo virale en dit long sur l'état des médias en France.
ASI - Que voulez-vous dire ?
Véronique Marchand -
Les gens ont le sentiment que les journalistes sont aux ordres. Ce que je ne partage pas. Mais je suis effarée quand je regarde la télévision, notamment les chaînes d'information en continu, de voir à quel point on nous a désappris notre travail de journaliste et combien certaines chaînes se placent du côté du manche, du côté de l'élite. Il y a aussi cette règle de l'immédiateté qui devient la norme pour publier à la télé ou même sur le web. Ce système médiatique marche sur la tête. Mais heureusement, il existe des exceptions. A Lille, par exemple, nous avons la chance d'avoir le site d'information Médiacités
.
ASI -Diriez-vous la même chose des JT des chaînes nationales ?
Véronique Marchand -
Oui. Les JT ne s'adressent plus à des citoyens mais à des clients de grandes surfaces, à des tour opérateurs, à des consommateurs. La dérive consumériste des JT m’affole. Certains sujets n'ont rien à y faire. Pourquoi la culture est-elle toujours abordée à la fin ? Où sont les correspondants des chaînes françaises à l'étranger ? Sur quelle partie du monde on nous invite à nous interroger ? Les États-Unis, les États-Unis et encore les États-Unis.
ASI - Le Nord est-il un bon poste d'observation?
Véronique Marchand -
Le Nord concentre de nombreuses personnalités politiques avec des responsabilités nationales : Martine Aubry, Xavier Bertrand, Gérald Darmanin, Marie-Christine Blandin, première femme présidente de région, Adrien Quatennens, etc. On peut citer aussi Jean-Louis Borloo, ancien maire de Valenciennes, qui n'avait pas apprécié la couverture de sa campagne et qui a fait huer mon nom dans des meetings. C'est lui qui m'a surnommée Cruella.