Manif à Paris : le commissaire Tomi et les "connards"

Pauline Bock - - Investigations - 25 commentaires

StreetPress, Mediapart et Libération sur un policier surnommé "le Corse"

Le commissaire de police qui criait "Dégagez-moi tous ces connards !" dans une vidéo virale filmée à la marche de soutien au peuple palestinien "traîne des casseroles" selon StreetPress, Mediapart et Libération.

Samedi 15 mai 2021, peu après 15 h, entre la gare du Nord et Barbès-Rochechouart, à Paris. La préfecture de police a déployé un impressionnant dispositif pour contrer la marche organisée en soutien au peuple palestinien, maintenue malgré l'interdiction émanant du ministère de l'Intérieur. Les stations de métro environnantes ont été bouclées. Arrivés à Barbès, les manifestants sont encerclés par les forces de l'ordre, qui utilisent des canons à eau pour les disperser, sous les chants : "Liberté Palestine !"

Devant le magasin La Grande Récré, sur le boulevard Barbès, une équipe de police stationne devant un camion. On entend clairement un officier, masque sous le nez, pointer du doigt les manifestants un peu plus loin en s'adressant à deux gendarmes à ses côtés. "Vous me dégagez tous ces connards," ordonne-t-il. La scène, filmée par le journaliste de Brut Rémy Buisine, qui live-tweete le rassemblement, fait immédiatement le tour des réseaux sociaux.


Le policier est rapidement identifié : selon le journaliste Taha Bouhafs, habitué de la couverture des manifestations, il s'agit du commissaire Paul-Antoine Tomi, surnommé "le Corse". "Encore et toujours lui," écrit Bouhafs, qui précise que l'officier est "visé par une enquête".

Le jeune journaliste pour Le Média a croisé le commissaire Tomi alors qu'il couvrait la manifestation de samedi, explique-t-il à ASI. "C'était avant le moment de la vidéo, il était sur le boulevard Barbès et donnait des ordres pour balayer le boulevard." Il a reconnu "le Corse" à son casque : "Ce n'est pas un casque classique, c'est un casque de genre militaire." Bouhafs  raconte qu'il n'avait "pas vu un dispositif policier pareil depuis les derniers actes des Gilets Jaunes" : "De Clignancourt à République, il y avait des camions à eau dans toutes les ruelles,  ils chargeaient et tiraient sans sommation." Cinq minutes après la conférence de presse des organisateurs, dit-il, la foule a été arrosée de gaz lacrymogènes "alors qu'il ne se passait rien du tout" et qu'il n'a vu "aucun projectile lancé sur les forces de l'ordre".

Taha Bouhafs a identifié le commissaire Tomi dans un tweet quelques heures plus tard, dans la soirée de samedi ; mais lorsqu'il l'a aperçu sur le boulevard Barbès, sa première réaction a été celle de tous les manifestants qui le connaissent : "J'ai essayé de l'esquiver," dit-il. 

Commissaire "matraqueur" 

Et pour cause : Tomi est "connu comme un mec violent, qui va au front et frappe," explique Bouhafs. "Il est tout le temps là, souvent filmé en train de frapper, comme à la manifestation contre la loi Sécurité globale [en janvier, ndlr], où il avait matraqué un homme." En effet, le 30 janvier dernier, un commissaire était filmé par le même Rémy Buisine, matraquant un manifestant, lors de l'évacuation de la Place de la République, à l'issue de la manifestation contre la loi Sécurité globale. Le 1er février, une enquête de StreetPress révélait qu'il s'agissait de Paul-Antoine Tomi, "un policier aux méthodes musclées" qui "traîne d'autres casseroles".

Tomi est un habitué des opérations de police qui font parler d'elles à Paris. StreetPress en a dénombré plusieurs : le 22 mars 2018, lors d'une manifestation de lycéens, il "s’élance et charge seul le Black Bloc (...) Aucun de ses hommes ne le suit. Isolé, il est pris à partie par des manifestants." Le 28 juin 2019, "c'est encore Tomi qui dirige l'évacuation très musclée de militants d’Extinction Rebellion qui occupent pacifiquement le pont de Sully à Paris," note StreetPress. En janvier 2020, il mène un groupe de policiers pour défendre un mur anti-émeute en pleine manifestation des pompiers. Résultat : en déroute, les policiers doivent battre retraite en laissant leurs casques derrière eux... Pour le journaliste Alexis Kraland, ces épisodes témoignent d'une "vision tactique pour le moins saugrenue".

Malgré l'ouverture d'une enquête pour violences, demandée par le préfet de police Didier Lallement au lendemain des faits, Tomi n'a pas été personnellement inquiété. "En tant que chef de la BRAV [Brigades de répression des actions violentes motorisées, créées en 2019 par Didier Lallement, ndlr], il est impliqué dans des moments où il y a des bavures, mais il n'est jamais personnellement inquiété," dit Bouhafs ; "La logique voudrait qu'on le mette au vert, mais il est toujours chef. C'est très opaque."

Ancien de la DGSI et frère du "parrain des parrains" corse

L'enquête de StreetPress révélait notamment le CV de Tomi, "entré dans la police en 1994, comme inspecteur de police, puis lieutenant. Il devient commissaire en 2003. Une fois diplômé, "Tomi le corse" est recruté à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), par un autre insulaire : Bernard Squarcini." En 2015, La lettre de l'Expansion le décrivait effectivement comme en poste à la DGSI, "dans le centre d'écoute téléphonique à Boullay-les-Troux"

Surtout, on apprend dans StreetPress que Tomi a été viré de la DGSI en 2016 pour une raison peu banale : ses liens avec "l'un des derniers mafieux corse" surnommé le "parrain des parrains", son grand frère Michel Tomi, dont le nom "apparaît dans des affaires allant du financement frauduleux du parti de Charles Pasqua, à des affaires de blanchiment et de corruption auprès de figures clé de la Françafrique". Des liens problématiques, que Mediapart révélait dès 2015 en écrivant que "l'homme d'affaires corse Michel Tomi verse régulièrement de fortes sommes d'argent en espèces à son frère Paul-Antoine, commissaire à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)"Des liens familiaux qui n'ont semble-t-il pas posé de problème quant à sa décoration, en 2019, "de la médaille de la sécurité intérieure à la suite de la répression du mouvement des gilets jaunes", selon Libération.

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