Macé-Scaron, analyse d'un châtiment

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Chapeau les artistes ! L'opération millimétrée de sauvetage du soldat Joseph Macé-Scaron

par son directeur, Maurice Szafran, manifestement longuement négociée entre les deux protagonistes, a plutôt bien réussi. En échange de la reconnaissance d'une moitié de ses torts (le plagiat, s'il est interdit au journaliste, est donc, dans le droit canon édicté par Marianne, définitivement autorisé à l'écrivain), Macé-Scaron sauve son poste de directeur adjoint à Marianne (tout notre dossier est ici).

Toute faute méritant châtiment, il devra néanmoins, écrit Szafran, "revenir à un journalisme d'enquête, de récit, d'analyse", à l'exclusion de "tout article éditorialisé". Ne plaisantons pas sur la sévérité de la sanction: dans un journal comme Marianne, cette condamnation à l'enquête représente l'équivalent d'une déportation dans les mines de sel, d'un envoi en rizière sous les khmers rouges, ou d'une affectation place de l'Opéra à l'heure des embouteillages, pour un flic ripou. Au nombre des trésors de son patrimoine, soigneusement entreposée dans une pièce ultra-sécurisée, comme le mètre étalon du pavillon de Breteuil, Marianne compte sa "ligne éditoriale". Tout article d'exégèse, ou d'application de cette ligne au monde extérieur, est désormais interdit au forçat Macé-Scaron, qui devra se contenter de l'appliquer.

La conception des hiérarchies journalistiques que révèle ainsi, involontairement, Szafran, n'est pas seulement la sienne. C'est celle d'une grande majorité de la presse française (même si Marianne, dans le paysage, est l'hebdo qui pousse à l'extrême la logique de la supériorité de l'expression des opinions sur la recherche et l'exposé des faits). Le mal est profond. Le journaliste français moyen, avant de chercher à savoir exactement ce qui s'est passé, se demande d'abord avec angoisse ce qu'il faut en penser. Est-ce une caractéristique culturelle du journalisme latin, opposé au culte du "fact-checking" anglo-saxon ? Est-ce la conséquence de l'absence, en France, d'un véritable pouvoir judiciaire, qui rend vaine toute révélation des turpitudes des puissants ? Est-ce le reflet des désirs profonds de la majorité des lecteurs qui, quoiqu'ils en disent, pardonnent volontiers aux journalistes d'écrire faux, pourvu qu'ils écrivent dans la ligne ? Eternelles questions sans réponse. Une enquête s'imposerait.

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