Luz, Ginette, et les Kouachi
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesLuz ne dessinera plus Mahomet. Luz va quitter Charlie Hebdo.
Comme on aimerait que personne n'en tire aucune conclusion, qu'on se contente de l'écouter, d'écouter ses mots d'explication qui se déroulent en interminable guirlande dès que se tend un micro, ses mots qui scintillent, s'entortillent sur eux-mêmes, s'envolent à mille vents contradictoires (ici ou là). Comme on aimerait se contenter simplement de pouvoir regarder ses dessins qui racontent l'histoire mieux encore que les mots. Dans son dernier livre, Catharsis, dont il fait la promo, Luz a dessiné les Kouachi, enfants, le regardant dessiner. Comme on aimerait que chacun se contente de regarder le funambule funambuler vers sa résilience avec sa petite troupe : ses dessins, qui l'ont sauvé, et Ginette, sa boule dans le ventre.
Bref, comme on aimerait n'entendre rien d'autre qu'un grand silence de chapiteau. Mais non. Impossible. Les combattants sont encore là, grondants, l'arme au pied, qui attendent de Luz des mots, un comportement de chef de guerre. De plateau en plateau, s'étale une étrange mélopée venimeuse, nommée Jeannette Bougrab. L'ancienne ministre sarkozyste est, elle aussi, en promo pour un livre. "La greffe qui marche le moins bien, c'est la greffe de couilles" a-t-elle dit, dans Valeurs Actuelles, à propos de Luz, et de sa désertion, disant tout haut ce que l'Armée pense tout bas. "Je m'en branle de cette conne", répond Luz, ce qui est la meilleure réponse.
Luz ne dessinera plus Mahomet. Oui, Luz déserte ce combat-là. Et alors ? On aimerait trouver les mots pour leur faire comprendre, à Bougrab et à tous les petits soldats, la victoire que constitue cette désertion. Leur faire comprendre, toucher du doigt, ce que ça demande, de dessiner les Kouachi enfants, l'harassement, la victoire sur soi, leur faire comprendre au prix de quel effort un tel dessin peut sortir des profondeurs des tripes pour se poser pantelant sur la feuille blanche, leur faire comprendre combien cela exige, en un mot, du courage, tellement plus de courage que pour dessiner Mahomet.