Lordon : "liquider" l'euro pour "reconstruire" la gauche

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"L’euro interdit radicalement toute politique progressiste possible."

C’est le premier postulat de la dernière tribune de l’économiste Frédéric Lordon (bien connu des @sinautes). Dans ce long texte publié hier sur son blog, Lordon exhorte les gauches européennes à se réarmer idéologiquement en imaginant un "après-euro", qu’il ne faut pas "abandonner aux extrêmes droites".

"A ceux qui, sincèrement de gauche, se sont refusés si longtemps à voir l’impasse de l’euro, pour entretenir l’illusion d’un improbable "rapport de force" qui permettrait d’en changer la configuration, à ceux à qui il aura fallu le calvaire grec pour (commencer à) mesurer la radicalité idéologique des institutions européennes, il faut dire qu’après que cette erreur ait assommé les Grecs de Syriza, elle assommera les Espagnols de Podemos, et puis que nous y passerons tous", prévient-il.

Lordon revient sur "la brutalité aveugle" et "l’inaccessibilité à toute argumentation rationnelle" avec lesquelles l’Allemagne a, selon lui, "décidé de châtier la Grèce". Sur ce point, Lordon est rejoint par une autre tribune... plus inattendue. Dans une "lettre à ses amis allemands", également publiée hier samedi 18 juillet, Dominique Strauss Kahn estimait que l'Allemagne a préféré une victoire idéologique "sur un gouvernement d'extrême gauche" à la cohésion de l'Union européenne. "Sans discuter en détail les mesures imposées à la Grèce pour savoir si elles sont bienvenues, légitimes, efficaces, adaptées, ce que je veux souligner ici c'est que le contexte dans lequel ce diktat a eu lieu crée un climat dévastateur", estime l’ex-président du FMI.

La "peur panique" de l'Allemagne

Lordon refuse toutefois de prêter à l’Allemagne un projet d’hégémonie en Europe, et décrit plutôt un pays pétri de peurs paniques : "Contrairement à ceux qui ne peuvent pas penser l’hégémonie allemande sans des images de Panzer ou de casque à pointe, il faut redire que l’Allemagne dans cette affaire n’a jamais poursuivi de projet positif de domination, et que ses comportements n’ont jamais été gouvernés que par la peur panique de souffrir, dans le partage communautaire, l’altération de principes qui lui sont plus chers que tout. Or il ne faut pas s’y tromper : une angoisse collective, surtout quand elle est de cette intensité, ne détermine pas moins à la violence que les menées conquérantes de l’hégémonie positive."

Et pour Lordon, "le vrai mystère européen" n’est de toute façon "pas en Allemagne — à laquelle, finalement, on ne saurait reprocher de vouloir vivre la monnaie selon l’idée qu’elle s’en fait, et d’après les traumas de son histoire" mais plutôt dans les autres pays, et notamment la France, qui s’est appropriée "la manie allemande hors de tout contexte propre".

"le Podemos d’Iglesias le rejoindra dans la même cellule"

"Et ailleurs en Europe, du côté de la vraie gauche ?" s’interroge l'économiste. Inutile de chercher un quelconque salut du côté de Podemos, prévient-il. Le parti est trop obnubilé par l’idée de "changer l’euro". "Il n’y aura pas d’"autre euro" dans son périmètre actuel — avec l’Allemagne —, car tout autre euro possible sera inadmissible pour elle, et se fera sans elle."

Bref, pour Lordon Podemos ne "prendra pas ses pertes" après l’échec de Tsipras ("dans le langage de la finance, "prendre ses pertes" signifie accepter que ses actifs ne retrouveront pas leur valeur perdue, et consentir à les vendre à perte, sachant que toute attente supplémentaire les verra se déprécier davantage encore", précise l’économiste). "Il est donc avéré que Tsipras était mentalement prisonnier de l’euro, et l’on sait désormais où conduit ce type d’enfermement volontaire. Disons les choses tout de suite, quitte à ce que ce soit avec rudesse : le Podemos d’Iglesias le rejoindra dans la même cellule."

Conclusion ? "Ça n’est plus tel ou tel pays qu’il faut faire sortir de l’euro : c’est la gauche elle-même". Un concept auquel Lordon donne le nom, emprunté au Guardian, de Lexit (Left-Exit).

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