Licenciement directrice NYT : sexisme salarial ?
Gilles Klein - - (In)visibilités - 0 commentairesJill Abramson, la patronne de la rédaction du New York Times a été brutalement virée, mardi dernier, par le propriétaire du journal, Arthur Sulzberger Jr, qu'elle a ensuite accusé de sexisme. Tout le monde a cherché à comprendre les vraies raisons de ce départ précipité, jusqu'à ce que le propriétaire du journal s'explique en détail dans un communiqué diffusé samedi.
Dean Baquet parle à la rédaction | "Le Times vire Jill Abramson, et la remplace par Dean Baquet" L'affaire a bien sûr un fort écho au sein du journal comme le montre l'article mis en ligne le 14 mai, et publié le 15 mai sous la signature de deux journalistes (avec la collaboration de 4 autres mentionnés en fin du texte), illustré d'une photo de Dean Baquet (57 ans). Abramson avait été la première femme à diriger le NY Times, Baquet (arrrivé au NY Times en 1990) est le premier afro-américain à le faire, souligne l'article comme tous les commentateurs. |
Les vraies raisons de ce divorce brutal n'ont d'abord pas été communiquées par la direction. De nombreuses hypothèses ont été émises. Abramson ne s'entendrait pas avec certains journalistes, ni avec Sulzberger Jr le propriétaire du journal, ni avec Mark Thompson (ex BBC) qui gère les affaires commerciales depuis deux ans. Ou encore elle n'aurait pas supporté que son salaire soit inférieur à celui de Bill Keller, son prédécesseur. Sulzberger Jr avecDean baquet, le nouveau patron de la rédaction |
C'est le New Yorker qui avançait, prudemment, cette hypothèse : "Comme souvent avec ce genre de bouleversements, il y a une histoire derrière. Il y a de cela quelques semaines, on m'a dit qu'Abramson avait découvert que son salaire et ses prestations de retraite [...] étaient considérablement inférieures que ceux de Bill Keller, le rédacteur en chef qu'elle a remplacé" . Emploi du conditionnel, sources anonymes, le journaliste a pris des pincettes pour évoquer les bruits de couloirs qui circulent au New York Times. "Elle s'est affrontée aux dirigeants", nous dit un proche collaborateur, et cela a pu nourrir le discours de la direction, qui dit qu'elle était "directive", une caractérisation qui, pour beaucoup, a inévitablement une dimension genrée" écrit l'auteur de l'article.
Samedi, Sulzberger Jr s'est défendu face à un sujet délicat. Il a d'abord reconnu que ce licenciement "avait été vu par beaucoup comme un exemple du traitement inéquitable réservé aux femmes dans les entreprises". Il a ajouté que sa "rénumération totale (salaire, plus actions, plus primes était en fait, comparable à celle de Bill Keller, et même, au cours de sa dernière année de direction, que son revenu total dépassait de 10% celui de Keller" souligne le communiqué cité par CNN.
Les deux parties semblaient avoir d'abord décidé d'un commmun accord de ne pas évoquer les raisons de cette séparation. Mais samedi, Sulzberger Jr, a publié une déclaration claire et nette : "Jill est une remarquable journaliste et rédactrice en chef, mais à regret, j'ai été obligé de conclure que sa gestion de la rédaction ne fonctionnait tout simplement pas. J'ai régulièrement entendu parler de manière répétitive de problèmes avec ses collègues hommes et femmes, y compris de prises de décisions arbitraires, de manque de dialogue et de consultation, de communication maladroite, et mauvais traitement de ses collègues en public".
Sulzberger Jr ajoute même qu'il a régulièrement prévenu Abramson qu'elle risquait de perdre la confiance aussi bien de l'état-major du journal que de sa rédaction, si elle n'améliorait pas la situation. Finalement le patron a conclu qu'Abramson avait perdu la confiance de l'équipe du journal et qu'elle ne parviendrait pas à la regagner.
Une affaire nationale
Tous les médias américains ont naturellement suivi le feuilleton concernant le plus prestigieux journal américain. Avec un jeu de mots sur une "femme en colère", le New York Post a fait sa Une, vendredi dernier, avec une étrange photo de Jill Abramson, qui venait d'être renvoyée du New York Timesdont elle animait la rédaction (executive editor) avec succès depuis 2011.
La photo montre Abramson avec casquette et gants de boxe. Cette photo a, d'abord été mise en ligne, par sa fille, Cornelia Griggs (31 ans, sortie de Harvard) sur son compte Instagram (ci-dessous, à droite) avec le commentaire suivant "Voici le nouveau hobby de maman". Ce qui laisse sous-entendre qu'Abramson pourrait se battre ou riposter face à la direction qui l'a mise en cause en public.
Ce matin, dans l'édition papier, nouvel article d'un des journalistes qui avaient annoncé le départ d'Abramson. Pour David Carr "C'est une chose de papoter sur votre patronne ou de la critiquer mais c'est autre chose de voir sa tête décapitée froidement en pleine lumière. Sans ménagement."
Même si Sulzberger voulait une transition en douceur, selon Carr, Abramson a refusé que cela se passe avec élégance. Elle s'était battue pour arriver au sommet, et maintenant elle se bat quand on la pousse vers la sortie. Elle a peut-être affiché son amour pour le Times, explique Carr mais elle a décidé d'attaquer son éditeur quand elle l'a accusé publiquement de l'avoir virée pour des raisons sexistes. David ajoute que s'il apprécie Jill Abramson, et le journal qu'elle faisait, il a du constater après avoir enquêté au sein des piliers de la rédaction, y compris des femmes que le propriétaire avait raison. Ceci bien qu'Abramson ait soutenu et contribué à faire évoluer le journal vers le numérique de manière spectaculaire. Mais David est amer sur la manière dont cette crise a été gérée : "Cela a peut-être été amusant pour ceux qui ont regardé cela depuis l'extérieur, mais pas du tout pour tous ceux qui travaillent ici." |