Libération et ses mythologies (Pierre Marcelle)

Anne-Sophie Jacques - - 0 commentaires

Non, "nous ne sommes pas cette si chouette bande de chouettes copains et copines".

Ce grain de sable est signé Pierre Marcelle dans Libération, à quelques pages du dernier compte-rendu des salariés évoqué ce matin par le matinaute.

Dans son billet No smoking, Pierre Marcelle, journaliste de longue date du quotidien, souligne l’indécence des Jeux olympiques de Sotchi, en Russie, à l’heure où l’Ukraine est à feu et à sang, et où Poutine "embastille Pussy Riots, militants écologistes, homosexuels opprimés et protestataires multiples" tout en bénissant "les tueries perpétrées en Syrie par son allié Bachar al-Assad".

Il pointe surtout "l’indifférence à peu près absolue de la communauté des nations «démocratiques» - et de leurs journaux, aussi, plus volontiers, sinon exclusivement, préoccupés de «tableau des médailles»".

De leurs journaux… comme de son journal, Libération. Car, écrit-il, "c’est aussi de les avoir tues trop longtemps que nous sommes en train de mourir. Si nous faisons encore un journal, nous ne sommes pas cette si chouette bande de chouettes copains et copines, famille unie et aimante dans un centralisme démocratique soudain réhabilité, façon d’union nationale qu’identifie, sous la bannière «Nous sommes un journal», l’anonyme et peu rassurante signature de l’entité «les Salariés de Libération»".

Marcelle fustige "cette mythologie, aussi ancrée dedans nos murs que celle, dehors, du crypto-hégélien «mon Libé nécessaire avec le café-clope du matin» ne veut pas quitter le cocon de sa couette nostalgique". Il fait ici référence à la tribune du philosophe Etienne Balibar publiée mercredi dans laquelle il livrait ses réflexions sur la lecture d’un journal qui "peut n'être qu’un rituel comme le café au lait"... et bien plus encore. Balibar n’est pas le seul à avoir pris sa plume pour soutenir le quotidien : depuis que Libé a décidé de raconter le récit de sa crise, on a pu lire Barbara Cassin, philosophe également, mais aussi des anciens journalistes de Libé - Frank Eskenazi et Jean Stern - ou des géographes ainsi que des messages de soutien dont celui d’Umberto Eco."

Des messages enclins pour certains à alimenter cette mythologie et cette nostalgie, comme les mots de Cassin ("Libération est notre journal parce que, dès que quelqu’un, un quidam justement, s’indigne, s’inquiète pour de vives raisons, invente, alors il peut dialoguer avec Libé") ou ceux des géographes ("écrivons-le : «Pour comprendre le monde… lisez Libé !»") ou encore le texte signé par les deux anciens de quotidien qui avouent que "cela fait un bon moment déjà que nous ne lisons plus vraiment Libé" tout en ajoutant : "on peut bien se marrer de «l’esprit Libé» sauf quand il est là, comme un spectre bienveillant, hardant, et envoie balader le réel au profit d’une utopie créatrice".

Ce grain de sable de Marcelle est surtout le fruit d’une amertume tout autant que d’une colère. Selon lui, "à tout confier à d’opaques sous-traitants et d’obscurs actionnaires, nous en avons oublié nos principes, au premier chef desquels le droit pour la presse, de même que pour l’éducation, la santé, la culture, d’être déficitaire sans en être complexée. Car de ce qui fut notre intellectuel collectif, demeurent notre minimale ambition d’un engagement social et notre détestation de l’inhumanité ultralibérale. A moins, bien sûr, que je ne me trompe."

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