Libération assume avoir payé une interview de Leonarda

Gilles Klein - - 0 commentaires

Payer pour une interview ? Oui et Libération assume. Dans la page Portrait consacrée, hier, à Leonarda, la jeune rom expulsée avec sa famille, l'auteur de l'article indique avoir payé pour l'interroger au Kosovo. Le responsable des pages Portraits défend et justifie la position du journal qui a "négocié" pour payer finalement 50 euros au lieu des 200 demandés.

"Elle tourne en rom" titre la page Portrait de Libération publiée hier mardi, consacrée à Leonarda Dibrani, devenue célèbre depuis son expulsion, et l'intervention de Hollande à son propos.

Un portrait classique, pour lequel Libération a fait des frais puisqu'il a envoyé un de ses journalistes au Kosovo. Classique mais la fin du premier paragraphe ne l'est pas : on y apprend que le journal a payé pour cette interview.

Les Dibrani, au vu du bruit médiatique qui a entouré leur expulsion, espéraient revenir en France, il n'en est rien. Du coup explique Libération, "Amers et déçus, ils cherchent, en vertu de cette stratégie de la débrouille qui gouverne leurs vies, à tirer bénéfice de l’appétit des médias."

Et "Resat, le père, fixe ses conditions : il faut «donner un truc» pour obtenir l’interview. «Tu comprends, on n’a plus de thunes», détaille Léonarda. D’ordinaire, jamais Libération ne paye, mais là, allez savoir pourquoi, on cède tout en négociant serré. Affaire conclue à 50 euros, au lieu des 200 réclamés."

Face à un tabou, en apparence, brisé (généralement aussi bien en France qu'aux USA, et ailleurs, un journaliste ne paie pas pour interroger quelqu'un) Libération s'explique dans un billet du responsable des pages Portraits.

Luc Le Vaillant, responsable de la rubrique Portraits, commence par dire que le journal ne paie "jamais" pour une interview, mais reconnaît tout de même des frais : "A Libération, on ne paye jamais pour obtenir une information ou un entretien. Cela dit, il nous arrive d’inviter des gens à déjeuner, et ça coûte parfois beaucoup plus de 50 euros. Il m’est même arrivé d’offrir une paire de chaussures neuves à un SDF aux semelles trouées, dont je faisais le portrait un jour où il neigeait." Le Vaillant explique qu'il a parlé avec le journaliste qui était sur place : "On en a parlé tous les deux au téléphone. Et puis, il a accepté de négocier et a fini par payer 50 malheureux euros. Qui ne lui seront pas remboursés vu qu’il n’a pas ramené de note de frais, que les rapiats se rassurent…"

Le Vaillant défend la famille qui demande "50 malheureux euros" pour parler, vu son statut précaire. Il dit à propos du journaliste sur place : "Il a payé, sûrement aussi, parce qu’il avait affaire à des gens aux abois, dans une débine totale et qui, une fois la vague média retirée, se retrouvent le bec dans l’eau et tentent de s’en tirer par tous les moyens." Le billet renvoie ensuite dos à dos ceux qui critiquent le choix de payer, au nom de l'éthique journalistique, et ceux qui regrettent l'image négative que cela donne des Roms, alors que la famille est logée gratuitement pour un an dans un pavillon avec jardin, au Kosovo grace à un programme d'aide au retour de l'Union Européenne : "Les huissiers de l’info assis bien au chaud, tous les «on ne paye pas, nom de d’la», et les anti-stigmatisation qui nous reprochent de faire passer les Roms pour des arnaqueurs."

Le Vaillant conclut en soulignant que Libération ne cache rien, et que cela "raconte" une famille dans "la panade totale" et qui "tente de faire face." Le débat est ouvert, comme aux USA, où NBC News est en train de signer un contrat avec une jeune fille, au centre d'un fait divers (sa mère et son frère assassinés, et le suspect abattu par le FBI) après l'avoir longuement interviewée en exclusivité.

Luc Le Vaillant de Libération était venu sur notre plateau discuter du sexisme dans les médias. A revoir, ici.

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