Libé : article sur les prostituées, sans les prostituées
Laure Daussy - - (In)visibilités - 0 commentaires"A Limoges, un petit bois de Boulogne qui fait scandale", titre un article de Libé ce matin.
Le journaliste Jean-Louis Le Touzet raconte combien l'arrivée de "filles de l'Est" gêne les habitants de la ville. Et les prostituées en question, elles en pensent quoi ? L'article ne daigne pas leur donner la parole, ni décrire leur situation. Seul ce passage : "Elles reçoivent un coup de fil, elle repartent travailler, effrayées", laisse entendre qu'elles sont sous la coupe d'un proxénète. Pour le reste, elle sont présentées, au travers des citations d'habitants interviewés tout au long du reportage, comme fautives, délinquantes. La responsabilité des clients n'est jamais invoquée. "Selon ce retraité qui habite à côté,"pas moyen de se promener: on est immédiatement considérés comme une proie par ces filles." Un restaurateur est interviewé : "Ils (les clients, ndlr) s’enivrent car elles sont quand même assez disgracieuses, faut dire… Je leur dis: mais vous mettez des préservatifs au moins? Non, qu’ils font, on n’aime pas ça. Et ils repartent sans le sou avec le train du soir, car les filles leur ont fait les poches. Ça se passe comme ça à Limoges…" |
Le journaliste donne ensuite la parole à des prostituées... mais pas celles dont il est question dans le reportage : "Quatre dames qui se disent "bien françaises", travaillent "en studio" et n’ont pas de mots assez durs contre "cette jungle d’en bas" au Champ-de-Juillet" (...) "Internet, monsieur, a foutu le métier en l’air. Puis il y a ces Bulgares, d’une crasse horrible et qui cassent le métier." Des prostituées "bien de chez nous" sont ainsi interviewées, quand les prostituées de l'Est, critiquées, n'ont pas droit à la parole.
Imaginons, qu'au lieu de prostituées, il s'agisse de migrants, logeant dans des camps, comme à Calais, qui, parfois, suscitent la colère d'une partie de la population alentour. Aurait-on laissé des extraits bruts de propos peu amènes à leur égard sans aucune prise de distance ? Et surtout, n'aurait-on pas interviewé ces migrants sur leur situation, sur le parcours qui les a amenés jusque-là ?