L'espion dans le train, avec un portable et un voisin
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesJe ne connais pas personnellement Tom Mattzie.
Et je ne sais pas s'il faut plutôt s'inquiéter, ou se réjouir, de sa récente aventure. Tom Mattzie s'est récemment retrouvé, dans un train, aux environs de Philadelphie, assis à côté de Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA. Et soudain, au cours du trajet, Mattzie, twittos influent et plutôt de gauche, comprend que son voisin est en train de parler au téléphone avec un journaliste de Time. Plus précisément encore, qu'il est en train d'avoir une conversation "off" : il ne souhaite pas être cité.
Que fait alors Mattzie ? Au lieu d'essayer de capter la teneur de la conversation, il s'empresse de twitter sa bonne fortune, et de prévenir tous ses "suiveurs" : eh les gars, vous savez quoi, je suis assis dans le train à côté de Michaël Hayden, oui oui, l'ancien boss de la NSA, le gars qui a fait écouter Angela Merkel et tous les chefs d'Etat de la planète, et il est en train de balancer des infos "off" à un journaliste de Time. Et finalement, ce qui doit arriver arrive : à peine Hayden a-t-il raccroché d'avec le journaliste, que son portable sonne à nouveau : c'est son bureau qui le rappelle, pour l'avertir qu'il se trouve assis à côté d'un twittos, en mesure d'entendre toutes ses conversations confidentielles. Beau joueur, le maître espion accepte de poser à côté de son espionneur, lequel s'empresse de twitter la photo.
Tout est fascinant dans l'anecdote, et d'abord évidemment l'imprudence de Hayden dont -je vous le disais- je ne sais pas trop s'il faut se réjouir (au fond, on peut les piéger comme ils nous piègent, ils ne sont pas si forts qu'ils en ont l'air) ou s'inquiéter, de la même manière que l'on ne sait pas, au fond, si le déballage actuel sur l'espionnage sert la puissance américaine (quelle prodigieuse machine, tout de même) ou la dessert (et dire qu'un homme seul en est venu à bout). Mais la réaction de Mattzie est tout aussi fascinante. Contre cette photo, et la jubilation d'avoir pu partager en direct sa jouissive situation, Mattzie a sacrifié les informations confidentielles qu'il aurait -peut-être- pu détenir, et ne détiendra pas. Il a réagi en twittos, et non pas en journaliste. Dans son cas, cela se comprend : il n'est pas journaliste. Mais combien de journalistes, de vrais, encartés, réagissent en twittos, eux aussi, plutôt qu'en journalistes ? Combien d'envoyés spéciaux en duplex, combien de "live" interminables, qui n'ont pour fonction que de dire "nous y sommes, nous sommes là pour de vrai, nous couvrons l'événement", plutôt que de transmettre des informations ?