Les naufragés et les interprètes
Daniel Schneidermann - - 0 commentaires700, après 400. Pour faire recette, pour forcer les Unes, pour percer la carapace du rédacteur en chef moyen
, le migrant noyé en Mediterrannée doit d'abord se compter par centaines. Mais ce n'est qu'une première condition. Pour émouvoir, pour que Maitena Biraben interpelle Hollande dès le début de son émission spéciale, pour que Hollande se fende d'une déclaration bien sentie -"les passeurs sont des terroristes"- non seulement le migrant noyé doit se compter par centaines, mais il doit battre son record à chaque naufrage. Si le chalutier à 700 victimes avait fait naufrage avant le rafiot à 400 victimes, le nouveau-drame-insupportable-en-Mediterrannée aurait-il forcé les Unes ?
Donc, on va agir, tout va changer. Le concours Lépine de l'hypocrisie est ouvert, et il y a du monde au guichet. On va convoquer un sommet européen extraordinaire. On va être humains, tout en restant implacables. On va recueillir les malheureux, sans encourager leurs frères candidats au départ. On va intensifier les moyens dans le cadre des politiques d'austérité. On va mettre en accusation, pour déstabilisation des pays de départ, Bush (l'Irak) et Sarkozy (la Libye). On va éventuellement les traduire devant le TPI.
Vous me direz : tu es bien gentil, matinaute, avec ton amère ironie à deux balles. Mais que ferais-tu, toi, si tu pouvais décider ?
Si je pouvais décider, je ne ferais pas forcément mieux que les gesticuleurs hypocrites. Alors parlons d'autre chose : les anciens interprètes afghans de l'armée française. Ils ont aidé les Français, tout au long de leurs 12 ans de présence en Afghanistan. Ils sont aujourd'hui, logiquement, tous potentiellement condamnés à mort par les ennemis de l'Armée française.
Ces nouveaux harkis ont demandé l'asile en France. Une trentaine d'entre eux, selon RFI, ont manifesté en mars à proximité de l'ambassade de France à Kaboul, mais Google images n'a pas gardé trace de cette manifestation, une recherche sur le thème ne donnant que ceci :
Sur quelques centaines de demandes (200 ? 700? les estimations varient), pour l'instant seuls 73 ont reçu, avec leurs familles, des visas pour la France. Ils ne sont pas des centaines de milliers. Ils ne menacent pas la population allogène de "grand remplacement". Ils sont, par définition, francophones. Certains officiers de l'Armée française, selon Jean-Baptiste Naudet, de L'Obs, sont prêts à les accueillir chez eux. Pour les accueillir, on n'a pas besoin de traduire Bush devant le TPI. On n'a même pas besoin d'un sommet européen extraordinaire. On n'a besoin de rien que d'un coup de tampon. Mais avant de donner le coup de tampon, la France veut prendre toutes les précautions. S'assurer que tout est en règle. Les donneurs de coups de tampon sont tranquilles : les ex-interprètes de l'Armée française ne feront jamais les gros titres.
Màj, 22 avril : le nom de Jean-Baptiste Naudet a été substitué à celui de Vincent Jauvert, indiqué par erreur.