Les fantassins d'Oscar

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Un an ferme ! Si le lanceur de chat de Marseille est en état de réfléchir à ce qui vient de lui arriver

, ce qui reste à démontrer, il aura le temps, en un an, de méditer sur l'évolution de la Justice à l'ère de Facebook. Un an ferme, c'est, à en croire les juristes spécialistes, une peine exceptionnelle dans une affaire de maltraitance animale. Et aucun doute possible : si le tribunal a eu la main si lourde, c'est en raison du retentissement sur la Toile du martyre du chaton Oscar, martyre qui, à en croire le procureur à l'audience, "a révulsé la planète entière". La diffusion devant le Tribunal de la vidéo a fait le reste : contre les pouvoirs conjugués de l'image et de la Toile, Farid de la Morlette était cuit. Et le chroniqueur judiciaire du Figaro, Stéphane Durand-Souffland, pouvait bien tweeter, ironique -"alors, il faut le faire juger par la Cour Internationale de La Haye"- le jugement est tombé : un an ferme.

Mais la contamination de la Justice par une bulle virtuelle d'indignation n'est pas la seule leçon de l'épisode. Quand nous avons publié, dimanche, notre premier article sur l'affaire Oscar, les réactions attendues n'ont pas manqué dans le forum. Ah, on voit que vous avez le sens des priorités, à @si. Bravo ! Alors qu'il se passe tant de choses graves dans le monde, vous consacrez un article entier au fait-divers insignifiant de ce chaton maltraité. Mais aussitôt, dans le même forum, est arrivée une seconde salve : c'étaient les troupes inattendues des militants des animaux, les fantassins d'Oscar.

Ce qu'exprime l'ironie de Durand-Souffland, ce qu'exprimait aussi notre propre surprise quand, invitant par exemple sur notre plateau Patrick Chamoiseau, nous réalisions que le combat anti-souffrance animale était, pour l'écrivain, presque plus obsédant que le souvenir de l'exploitation coloniale, c'est la certitude que notre échelle des valeurs est la bonne, la seule imaginable. Internet nous place devant une réalité stimulante : nous avons nos points aveugles, nos lignes jaunes (autre émission mémorable sur le sujet) jusqu'ici insoupçonnées, "inquestionnées". De la même manière qu'Internet donne autant de portée potentielle à la voix du citoyen qu'à celle de l'éditocrate, il place tous les combats sur la même ligne de départ. Dans la grande compétition des causes dignes d'être défendues, il donne toutes leurs chances aux outsiders. S'il hisse la souffrance au travail au même niveau que la revendication sociale, il place la souffrance animale au même niveau que ces deux-là. Il nivelle. Le chaton Oscar n'est pas moins digne de compassion que l'enfant victime d'actes pédophiles, pas moins digne d'attention que la banquise qui fond, la souffrance d'Oscar ne mérite pas moins de temps d'antenne que celle du chômeur de longue durée. Non, la "société civile" ne se limite pas à la photo inconsciente et paresseuse que s'en fait la technostructure médiatique. Jusqu'au vertige, notre champ de vision s'en trouve élargi.

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