le tyran est mort, un nouveau tyran est appelé à régner

Alain Korkos - - 0 commentaires

La nouvelle est tombée ce matin sur tous les téléscripteurs, Kim Jong-il, dictateur de la Corée du Nord, est mort samedi dernier.

Photo © Chien-Chi Chang, 2005

Un récent article paru dans M, le magazine du Monde, évoquait le mauvais goût des tyrans, leur absolue démesure en matière d'architecture, de costumes, de décorum, enfin bref, d'image.

Kim Jong-il et son père, Kim Il-sung

Les dirigeants de la Corée du Nord n'y échappèrent évidemment pas : défilés gigantesques, fresques grandiloquentes, et aussi opéras vantant les vertus de la révolution socialiste. En voici un exemple avec Les Chants du paradis, récit chanté et dansé produit en 1978 par la troupe artistique Mansoudai de la République populaire démocratique de Corée:

Archives Alain Korkos

"Les Chants du paradis, hymne à la supériorité du régime socialiste de notre pays et à sa grande vitalité, est un chef-d'oeuvre monumental tout à fait remarquable décorant splendidement le grand jardin de l'art djoutchéen", nous affirme l'introduction du livret.

"Les Chants du paradis est un imposant tableau artistique brossant notre époque où s'épanouit pleinement la vie indépendante et créatrice des masses populaires, devenues protagonistes de l'Histoire.

Suivant le trajet parcouru par la jeune journaliste Seun Hy, héroïne, pour son reportage intitulé « Les Chants du paradis », dans différentes localités, ce récit présente dans un gigantesque tableau artistique la réalité de la patrie transformée en État industriel socialiste, en paradis du peuple".

Une double page parmi tant d'autres :

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Retranscription des textes :

"Seun Hy, pour son reportage, se mêle aux travailleurs qui passent un moment de repos agréable en chantant la supériorité du régime socialiste établi dans notre pays par le camarade Kim Il-sung, Leader et père affectueux."

"La jeunesse florissant dans ce beau pays

Un arc-en-ciel au loin s'accroche au Birobong
Et sa vue exalte les rêves dans nos jeunes coeurs.
Ces jours agréables résument le bonheur
Régnant dans ce beau pays."

"Djoun Ho rencontre une jeune fille ayant le même nom que celui de la fille du Héros Tchoé Sou Kil."

Et voiciTchoé Sou Kil, Héros avec un H majuscule :

Tchoé Sou Kil faisant serment de combattre jusqu'au dernier souffle de sa vie
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Il serait faux de croire que ce n'est que le goût profond des dictateurs qui s'exprime dans ce genre de représentations, ce type d'images. S'il est vrai que les tyrans adorent la grandiloquence et toute la bimbeloterie qui va avec (lire à ce propos l'article du Monde précédemment cité), il ne faut cependant pas oublier que cette iconographie est aussi un moyen de communication de masse : le bon peuple est censé aimer le strass et la dorure ainsi que l'héroïsme et les costumes militaires ? Le dictateur fournira strass, dorure, héroïsme et costumes militaires, qui feront d'excellents cache-misère.

Quitte à tricher parfois, si nécessaire. Le 5 novembre 2008, un article de l'agence de presse Chine nouvelle nous apprenait que Kim Jong-il venait de visiter les unités 2200 et 534 de la vaillante Armée populaire.

La visite du "Cher Dirigeant" à l'unité 2200

La visite du "Cher Dirigeant" à l'unité 534

Sauf que l'image n°2 n'a jamais existé, il s'agit d'un photomontage. Le Kim Jong-il de la photo n°1 se retrouve à l'identique sur la photo n°2…

… et il en est de même pour certains militaires :

L'image est une arme dans les mains des dictateurs, mieux vaut ne pas en rire.


Profitons-en pour rappeler l'existence de Pyongyang, un formidable reportage en bédé signé Guy Delisle paru aux Éditions de l'Association, 2003 (Guy Delisle vient de publier les Chroniques de Jérusalem aux Éditions Delcourt).


L'occasion de lire ma chronique intituléeKim Jong-il, clone triste en Corée encore. Lire aussi la chronique de Daniel Schneidermann: Kim Jong-il, la dictature et l'amour.

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