Le trou de mémoire de l'amie MAM

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

De Montaigne et La Boétie à Michèle et Aziz, les lois de l'amitié

sont éternelles. Parce que c'était elle, parce que c'était moi. "Quand je suis ministre, je suis ministre. Quand je suis en vacances, j'ai le droit d'avoir des amis. L'un d'entre eux a effectivement une compagnie aérienne". Ainsi, par cette belle phrase, pourrait débuter l'essai sur l'amitié, auquel MAM ne manquera pas de s'atteler, quand sa lourde charge la laissera souffler. Ainsi donc, l'ami de la vacancière MAM, Aziz Miled, attendait son amie, à Tunis, "au pied de l'avion". Coïncidence dans la coïncidence: lui-même doit se rendre à Tabarka dans son avion privé. Re-coïncidence: à Tabarka se trouve précisément un hôtel, appartenant à Miled Aziz. Dernier hasard: le "jet" de douze places est vide. La ministre et sa famille n'auront tout de même pas la cruauté de laisser l'ami faire le trajet seul, dans son grand avion vide ?

Qu'une ministre en exercice coure les plateaux de télévision (à quelques minutes d'intervalle, elle était hier soir chez les Denisot-Aphatie et chez Pujadas, moment à ne pas manquer) pour débiter ces fadaises, est insultant pour tous les citoyens. Qu'aucun de ses hôtes, sans doute éblouis par l'amitié, ne lui pose les questions qui s'imposent (si ce voyage en avion était inopiné, vous aviez sans doute réservé des voitures ? Pouvez-vous le prouver ? Vous assurez avoir payé l'hôtel de votre ami Aziz. Pouvez-vous le prouver ? Etc) est tout aussi insultant pour la profession de journaliste, qui n'est plus à ça près.

Reste un détail, un incident, une bêtise: cette maudite révolution. Passer ses vacances dans un pays où la police tire à balles réelles sur les manifestants, ne pose-t-il pas un léger problème ? demande (plus poliment que je ne le fais) Pujadas à MAM. La ministre, accablée: "Si on ne doit aller que dans les pays où il ne se passe rien..." D'ailleurs, que se passait-il, en Tunisie ? MAM n'en conserve pas le souvenir précis. Tout est si flou! Le suicide de Mohammed Bouazizi, qui a déclenché la révolution tunisienne "ne s'est produit qu'à la fin de mon séjour, c'est le souvenir que j'en ai" assure-t-elle à Pujadas. Ah, malheureuse amie MAM ! Bouazizi s'est immolé le 17 décembre. Les émeutes ont débuté le lendemain. Si vous vous êtes envolée "entre Noël et le jour de l'an", peut-être n'aviez vous pas connaissance des derniers développements ? Le 22, second suicide d'un jeune Tunisien, par électrocution. Le 24, un mort et dix blessés, dans des affrontements (dépêche AFP). Il est vrai, comme nous le signalions, que les premières images à la télévision datent du 29 décembre, soit, en effet, à la fin des douces vacances excursionnistes et amicales. Voilà le souci. MAM, aussi fidèle télespectatrice qu'amie, mais ministre à trous, ne s'informe que par la télévision. Elle n'avait pas pensé à appeler le Quai d'Orsay.

Lire sur arretsurimages.net.