Le suicide d'un juge d'instruction (NouvelObs.com)
Dan Israel - - 0 commentairesEn septembre, un juge d'instruction s'est suicidé parce qu'il ne pouvait faire face à sa charge de travail. Le site du Nouvel Observateurrévèle l'info et publie la lettre qu'il a laissée. Alors que les magistrats manifestent aujourd'hui devant les palais de justice partout en France, la tragique histoire du juge Philippe Tran-Van, mort à 45 ans, est reprise partout..
Il était juge d'instruction au tribunal de grande instance de Pontoise. Il s'est jeté sous un train pour en finir. Journaliste au Nouvel Obs, Elsa Vigoureux raconte : "Avant de passer à l'acte, il a rédigé un courrier que ses parents ont trouvé dans son appartement sur la table de la salle à manger, sous un large tableau présentant une vue nocturne de la Conciergerie à Paris. Philippe Tran-Van, dont l'écriture était d'ordinaire illisible, avait fait l'effort d'écrire en capitales d'imprimerie pour que tout soit bien clair : «J'ai tout donné à la justice et à la magistrature. J'ai donné le meilleur de moi-même, j'ai sacrifié ma vie de couple qui est une des causes de mon divorce. (…) On dit que je suis incompétent pour gérer mon cabinet alors qu'avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de faire face à la charge de travail. Alors, je préfère en finir car me battre contre ma hiérarchie pour faire valoir mes moyens de défense me semble vain.»"
Selon le récit du magazine, Tran-Van avait 150 dossiers à suivre, dont 90 concernant des faits criminels, et il n'avait terminé l'instruction que de 20 d'entre eux. Il devait choisir lesquels traiter, et quelles affaires laisser en sommeil. "Pour lui, avoir à établir des priorités, devoir choisir, abandonner des gens à leur détresse, c'était insupportable", témoigne sa femme, qu'il avait quittée car il ne pensait qu'au travail. "Il faisait des courriers pour dire qu'il n'en pouvait plus, qu'il était débordé. Il alertait, mais rien ne changeait."
L'article raconte qu'il avait fait deux tentatives de suicides auparavant : "Le 5 août, alors qu'il était en congés, Philippe Tran-Van s'est rendu au tribunal de Pontoise, a tenté de s'emparer de l'arme d'un policier pour la retourner contre lui. Un appel au secours auquel sa hiérarchie a répondu par de multiples convocations dans un cadre disciplinaire. Philippe Tran-Van est retrouvé quelques semaines plus tard quasi inconscient chez lui, après avoir avalé trop de médicaments. Début septembre, le médecin conseil l'autorise à reprendre son activité professionnelle. Il s'en réjouit. Pas sa hiérarchie, qui demande un contre-avis médical. Et le 15 septembre, "on lui remet un rapport où il est accusé de déloyauté, d'incompétence", raconte Isabelle Tran-Van."
Le suicide du magistrat a fait le tour des sites d'information, comme ceux du Point, de TF1, du Figaro, du Monde, ou Rue89, et a fait l'objet d'une dépêche AFP.
Le Nouvel Observateur dénombre un autre suicide en 2010, deux en 2009, un en 2008 et un en 2004. Mais souligne que la souffrance au travail est "encore taboue" dans la magistrature.