Le QR Code de la mort qui tue

Alain Korkos - - 0 commentaires

Un QR Code (Quick Response Code) est une espèce de code-barres que l'on rencontre souvent au bas des affiches publicitaires, dans les vitrines des boutiques ou encore dans les musées. Lu par un téléphone soi-disant intelligent, il permet d'avoir accès à des sites internet, des vidéos, etc. Le QR Code c'est le comble de la modernité, bientôt chacun en aura un tatoué sur le front. Dès lors, plus besoin de carte d'identité, de carte de sécurité sociale ou de permis de conduire, tout sera plus simple dans le meilleur des mondes.

On n'y est pas encore mais on y vient, les entreprises de pompes funèbres s'y emploient en vendant des "épitaphes numériques". De quoi s'agit-il ? De plaques funéraires assorties d'un QR Code, dont elles font la réclame dans leurs vitrines :


À quoi sert-il, ce QR Code ? « Une fois flashé, ce QR Code permet d'accéder à des Pages du Souvenir consacrées au défunt, à partir d'un smartphone, d'une tablette digitale ou d'un ordinateur. Toutes les générations peuvent ainsi avoir accès à la mémoire familiale », nous dit le site epitag.com qui commercialise ce produit à la pointe de la technologie.

En flashant le code ci-dessus, vous aurez en effet accès à un mini-site dédié à la mémoire de cette pauvre Jacqueline Delormes partie bien trop tôt, ce sont toujours les meilleurs qui s'en vont les premiers, le cancer c'est vraiment une saloperie, hein, qu'est-ce qu'y foutent, les chercheurs ? Avec une page "Mémoires" contenant un éloge de la défunte :


Puis une galerie de photos, des liens vidéo, une page "Parenté" contenant une espèce d'arbre généalogique, et enfin une page de "Pensées" déposées par des proches. Voici la page d'accès à la galerie de photos de Jacqueline sur laquelle on retrouve les parents Jacques et Marie ; la soeur de la grand-mère et sa fille Lara en Italie en 1932 ; l'arrière-grand-père Léonard ; le mari de Jacqueline, Antoine, dans son jardin de Suresnes ; sans oublier Aurélie et Elena, les petites nièces de Jacqueline, pendant l'été 2012, et d'autres membres encore de la famille éplorée :


Sauf que Jacquelline Delormes, si brutalement enlevée à l'affection de ses proches, n'est qu'invention. Tout comme les proches en question, dont les photos ont été achetées dans des banques d'images. Voici le grand-père Léonard (qui porte un fez sur la tête !) :


Voici Antoine, le mari de Jacqueline ; sa photo est utilisée par toute une variété de sites : sur celui de Nesao, une entreprise de lavage auto de Grenoble ; sur celui de DHCM, Cabinet de Conseil et de Conduite du Changement pour les Organismes Gestionnaires de l'Économie Sociale et Solidaire ; sur celui du Conseil général du Val-de-Marne ; sur celui d'agences de rencontres matrimoniales où il figure en tant que nouvel inscrit ; et sur d'autres encore. Oui, le mari de Jacqueline est partout, et surtout sur les sitesdes banques d'images :


On pourrait égrener de la sorte toute la parentèle de cette brave Jacqueline, dont voici le portrait issu de la version allemande d'une célèbre banque d'images, Fotolia :



Cette famille de fiction est ici utilisée pour nous vendre une plaque commémorative avec QR Code et mini-site ouèbe "à partir de 199 euros". La plaque en porcelaine de cette pauvre Jacqueline, avec photo incluse, coûte quant à elle la bagatelle de 360 euros :


« J'ai tout appris de ma famille en flashant ce QR Code. J'ai découvert des photos, un arbre généalogique, et même des vidéos… », nous affirme Dimitri dans un bandeau publicitaire.



Mon pauvre Dimitri… et si tu avais laissé tomber ton téléphone insuppportable et ton sourire idiot pour aller causer à tes vieux, hein ? Les yeux dans les yeux. Sans QR Code de la mort qui tue.

 

L'occasion de lire ma chronique intitulée Le fil de la vie.



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