le portail de Morlaix, champ et contrechamp

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Encore une tranche de Bretagne bretonnisante ?

Voici, en ouverture du 20 Heures de France 2, le patron de l'abattoir Tilly-Sabco, exportateur de volaille congelée et de saucisse de poulet. Ses salariés viennent de défoncer au tractopelle le portail de la sous-préfecture de Morlaix. France 2 était là, avec ses caméras (oui, SES caméras, une de chaque côté du portail pour plus de sûreté). Il serre les mains de tout le pesonnel réuni et, sous les applaudissements, et devant la caméra de France 2, vitupère le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll, unique responsable de la situation. Le matin même, il a annoncé que l'exportation de poulet cesserait en janvier 2014, cette annonce entraînant une menace sur 1000 emplois selon lui, une réunion d'urgence à la sous-préfecture et donc, indirectement, le trépas du vaillant portail, après une héroïque résistance.

Portail de la sous-préfecture, champ et contrechamp

Après l'alliance sacrée, dans la manifestation de Quimper samedi dernier, du NPA et du MEDEF, sous la bénédiction du FN et de quelques anti-mariage pour tous, après la convergence, bras dessus bras dessous, des paysans et des chaînes d'hypermarchés, voici donc une nouvelle manifestation de la "coagulation" des mécontentements, puisqu'ainsi s'appelle, parait-il, la dernière hantise de l'Elysée. Mais comment s'expliquent ces étranges applaudissements des ouvriers à leur patron ?

Il faut surfer un peu pour découvrir le responsable apparent de la situation : la Commission Européenne, bien entendu, qui a supprimé cet été (avec deux ans d'avance sur le calendrier prévu) les "restitutions" que percevaient les exportateurs de poulets congelés vers les pays du Golfe, pour les aider à supporter la concurrence brésilienne -système dont la France était, au sein de l'UE, quasiment la seule bénéficiaire. Bruxelles responsable ? Il faut fouiller un peu plus loin, pour découvrir que si la Commission a pris cette décision, c'est parce qu'aucune majorité qualifiée des Etats-membres (ni pour ni contre) ne s'était dégagée. Et si la France n'a pas emporté le morceau, c'est parce que, disait "Ouest France" en janvier dernier, à propos d'un précédent coup de semponce contre les restitutions, "de source autorisée", l'Allemagne a voté contre. Nous y voilà. Devant les caméras, Le Foll paie pour l'UE, laquelle paie pour l'Allemagne, dont les poulets, certainement plus compétitifs, piaillent d'impatience de prendre le chemin d'Arabie Saoudite. Nul doute que les images de portail défoncé au tractopelle, et du feu de branchages et de pneus dans la cour de la sous-préfecture, aideront Stéphane Le Foll dans son nouvel assaut bruxellois, quand il viendra implorer un sursis pour les poulets congelés français. Qu'il n'oublie surtout pas d'emporter sa clé USB avec lui.

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