Le Monde a (presque) trouvé "passionnant" le film de BHL

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Vous n'avez pas pu y échapper. L'affiche du Serment de Tobrouk, le documentaire de Bernard-Henri Lévy, est partout. Une communication enrichie de citations élogieuses, quitte à sortir un adjectif de son contexte... Exemple avec Le Monde.

Le Monde a trouvé Le serment de Tobrouk "passionnant". C'est ce qu'affirme l'affiche du film. On la trouve d'ailleurs à la page 22 du quotidien, dans l'édition du 6 juin, date de sortie de ce documentaire de BHL, tout à la gloire du BHL chef d'orchestre du déclenchement de l'intervention militaire en Libye. Pour retrouver la citation exacte entourant ce "passionnant", on se jette sur la critique du film. Il n'y a pas loin à chercher, elle se trouve sur la même double page.

Que dit cette critique ? "Au bout de presque deux heures d'un monologue quasi ininterrompu (...), on est partagé entre la stupéfaction, l'exaspération et - presque à contrecœur - l'admiration." Dès les premières lignes de l'article, on peut parier que Thomas Sotinel, critique cinéma au Monde, n'a pas trouvé le film de BHL "passionnant". Il en fait plutôt une critique acide, mais subtile, où l'on comprend bien que "le protagoniste omniprésent, omniscient", qui est par ailleurs membre du conseil de surveillance du quotidien, n'a pas franchement convaincu le journaliste. Pour Sotinel, BHL est même un "disciple involontaire de Chaplin" et d'autres cinéastes se mettant en scène, comiquement pour la plupart : "Ils n'ont jamais eu peur du ridicule ni du danger physique. Empruntant, consciemment ou non, à leur grammaire (la constance de l'aspect physique dans toutes les circonstances, l'omniprésence, l'exagération des traits de caractère, la répétition des situations), Bernard-Henri Lévy met ses pas dans les leurs."


"Passionnant"... pour les historiens

Le fameux "passionnant" ne vient pas de cet article, mais d'un autre, du même Sotinel, publié le 26 mai, après la présentation du film au festival de Cannes. Le journaliste n'a pourtant pas changé d'avis entretemps. La critique sur "ce film étonnant dans lequel le metteur en scène se filme en metteur en scène de l'histoire" est titrée d'un grinçant: "BHL en Libye : Sarkozy, Clinton, le Café de Flore et moi". Référence au grand écart du philosophe médiatique entre les salons parisiens et le théâtre des opérations militaires.

En fin de compte, le lecteur attentif localisera l'adjectif tant recherché tout à la fin de l'article. "Il faut être un fin connaisseur de la Libye pour évaluer la fidélité aux faits de ce récit. Tous les témoins - Nicolas Sarkozy, Hillary Clinton, David Cameron, les dirigeants libyens - sont appelés à la barre pour étayer les assertions de la voix off omniprésente. Les historiens trouveront dans ce plaidoyer pro domo un matériau passionnant", conclut Sotinel. Où l'on découvre que ce n'est pas le film qui est passionnant mais le matériau historique qu'il constitue. Pour transformer une critique douce amère en argument commercial, rien de plus facile: sélectionnez un mot qui, pris hors contexte, peut passer pour une louange.

Pour des extraits plus longs, l'affiche s'en remet au Nouvel observateur, au JDD et à l'Express, fournisseurs officiels de citations élogieuses. Encore faut-il se cantonner aux critiques de complaisances rédigées par les patrons, pas toujours d'accord avec les journalistes de leur rédaction. Sous la plume de Laurent Joffrin, le patron du Nouvel Obs, le film devient par exemple "un film d'action efficace, un thriller philosophique et stratégique", alors que pour le critique Pascal Mérigeau, qui officie dans le même magazine, il s'agit plutôt d'un "naufrage".

Comment les rédactions se sont dépêtrées de cet encombrant objet filmé ? A chacun sa stratégie.

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