Le Louvre-Lens à Auchan...
Alain Korkos - - 0 commentaires... ou le discours verbal contredit par le discours visuel
Le Louvre-Lens, nous apprend un reportage d'Arte diffusé il y a deux jours, s'installe pendant une semaine dans une galerie marchande accueillant huit millions de visiteurs par an. Opération culturelle désintéressée, affirme Didier Lebon, directeur de ce centre commercial créé par Auchan. Arte semble approuver. À moins que…
« Je pense qu'un lieu comme la galerie marchande d'Auchan Noyelles-Godault, déclare Sylvie Lantelme, responsable de la médiation au Louvre-Lens…
« … peut être, si les personnes sont accompagnées, un lieu d'éveil à la culture. L'émotion artistique, elle peut être produite, vécue, ressentie n'importe où. Ici, comme dans un musée. »
En illustration de ces propos, deux vues de la galerie marchande au plafond de laquelle sont fixés des kakémonos* représentant différentes oeuvres d'art conservées au Louvre-Lens : une Vierge à l'enfant de Botticelli (qu'on verra de plus près plus tard)…
…suivie par un Saint Sébastien du Pérugin et le Portrait de Dona Isabel de Requesens par Raphaël :
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* Un kakémono est une peinture ou une calligraphie japonaise verticale. Les publicitairtes ont décidé d'appeler ainsi les banderoles de format vertical vantant des marques ou des produits.
Tout de suite après, une merveilleuse vue sur l'intérieur de l'hypermarché Auchan au plafond duquel sont accrochés des centaines de promotions, réclames et autres informations indispensables :
Elles sont suivies par un plan nous montrant un autre kakémono, celui du portrait d'une hôtesse de caisse :
La voix off nous dit alors : «Pour l'enseigne de grande distribution qui fut l'un des mécènes bâtisseurs du musée… » À ces mots s'inscrit sur nos écrans un plan rapproché de la Vierge à l'enfant de Botticelli :
«… il ne s'agit pas uniquement d'une opération événementielle. » Intervient alors Didier Lebon, directeur du centre commercial :
« Nous sommes un acteur de la vie locale à part entière. Donc il n'y a aucun aspect commercial par rapport à l'animation et à la découverte de la culture dans notre centre. C'est véritablement un partage ».
Apparaît un autre kakémono, une Tête d'ange en mosaïque provenant de la basilique de Torcello à Venise. Il ne s'agit pas là d'un plan fixe, mais d'un mouvement de caméra qui descend vers deux kakémonos publicitaires accrochés dans la vitrine d'un magasin. De la mosaïque byzantine nous passons au selfie #FUN et aux basquettes #SHINY d'une boutique de fringues :
Le reportage continue avec les activités dispensées aux enfants dans la pyramide de toile installée par le Louvre-Lens, les intervious d'une mère de famille et d'un enfant, la phrase finale de la responsable de la médiation et la conclusion de la voix off qui dit que « Le Louvre-Lens (…) se prend même à rêver que l'on vienne au musée aussi souvent qu'au supermarché. »
Cette très charmante bobine d'Arte est une ode au partenariat unissant le Louvre-Lens et Auchan, un dithyrambe en forme de panégyrique élogieux, un paquet de louanges deux-pour-le-prix-d'un-profitez-de-nos-promotions-en-tête-de-gondole. Dans les mots, en tout cas. Car la succession des images nous montrant des reproductions d'oeuvres d'art suspendues et des kakémonos publicitaires peut être perçue comme un commentaire ironique et muet, une façon de dire qu'ici l'on rabaisse l'art au niveau de la réclame.
À moins qu'il s'agisse d'une manière de constater que l'art et la réclame sont deux produits de consommation équivalents, Botticelli / H&M même combat.
Remerciements à Louvre pour tous qui a déniché cette perle.
L'occasion de lire ma chronique intitulée L'hypothèse du tableau volé.