Le doigt d'honneur de Varoufakis à l'Allemagne était truqué

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Ils ont bonne mine, les Allemands.

Pas tous les Allemands, mais ce présentateur d'une très sérieuse émission politique de l'ARD, Günther Jauch, qui avait projeté la semaine dernière à Yanis Varoufakis une séquence filmée en 2013 dans laquelle on voyait l'alors futur ministre des finances grec faire un doigt d'honneur à l'Allemagne. Et tous ceux qui y ont cru. Et tous les medias qui ont rediffusé cette image. Et tous les articles, comme celui-ci, qui ont présumé Varoufakis coupable du geste sacrilège.

Le doigt d'honneur était truqué. C'est Jan Böhmermann, l'animateur d'une émission satirique, et pas du tout sérieuse, de la chaîne publique concurrente allemande, la ZDF, et auteur de la supercherie, qui vient de l'avouer, en dévoilant les images du truquage. Si Varoufakis, dans cette réunion croate, parlait bien de "faire un doigt à l'Allemagne", il ne joignait pas le geste à la parole. Mais pour tourner un clip (par ailleurs très drôle) l'équipe de Böhmermann, croisement de Jon Stewart et de Yann Barthès, avait besoin de cette image. Ils l'ont donc fabriquée. Elle apparaissait dans ce clip, où l'équipe de la très sérieuse émission politique allemande est allée la piocher.

Making of du truquage, dévoilé par Böhmermann : côte à côte, l'image originale (à gauche) et l'image truquée (à droite)

Le doubleur silhouette de Varoufakis, et son authentique majeur

Pour les sceptiques, une autre image fabriquée, avec l'index levé, à la place du majeur

Les coupables, pas du tout repentants

Ils ont bonne mine. En ce jeudi matin, ni Jauch ni l'ARD n'ont encore réagi, mais ça ne devrait pas tarder. Ils ont bonne mine, et on a bonne mine aussi. Alors que l'article de Juliette Gramaglia, publié ici, faisait état des dénégations de Varoufakis, affirmant à Jauch que la vidéo était truquée, j'ai choisi de le titrer sur "Varoufakis embarrassé", plutôt que sur "Varoufakis dément". Non pas que j'ignore qu'on peut truquer n'importe quelle image de télé, avec un bon fond vert. Mais -attention introspection du matinaute- il faut bien admettre que je partais de plusieurs présupposés. D'abord, compte-tenu des autres signaux émis depuis deux mois par Varoufakis, et notamment, disons, sa...franchise à l'égard de l'Allemagne, le doigt me semblait parfaitement vraisemblable. Et puis, une très sérieuse émission politique allemande (pardon pour les pléonasmes en chaîne) comment imaginer qu'elle diffuse une vidéo truquée ?

Bref, en dépit de nos efforts permanents, ici-même, pour tenter, dans la crise grecque, de n'être dupes ni de la narration germano-européenne, ni de la narration grecque, mais de les considérer toutes deux avec le recul nécessaire, une part de moi-même a bien dû intégrer la première, celle qui suppose les Grecs par essence effrontés provocateurs. Leçon de l'épisode (tout au moins, jusqu'à ce qu'on nous révèle que les révélations de  Böhmermann sont elles-même truquées) : au-delà de l'anecdote, dans la guerre des chiffres et des mots, les plus provocateurs ne sont pas toujours où on nous dit qu'ils sont. Et les plus sérieux non plus.

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