Le crayon guidant le peuple...vers un Patriot Act ?
Alain Korkos - - 0 commentaires
LeCrayon guidant le peuple a été photographié dimanche dernier sur la place de la Nation à Paris par Stéphane Mahé, de l'agence Reuters. L'image a été maintes fois partagée sur les réseaux sociaux, a fait la une de plusieurs quotidiens dans le monde :
Le Monde (France), The Times (G.-B.), The Daily Telegraph (G.-B.),
El Periodico (Espagne), La Reppublica (Italie),
La Razon (Espagne), La Libre Belgique (Belgique)
La Liberté guidant le peuple de Delacroix, référence évidente : le Triomphe de la République de Jules Dalou (qui a également sculpté un monument à Eugène Delacroix visible au jardin du Luxembourg) remplace ici la Liberté, le jeune homme au crayon incarne le gamin qui inspirera Hugo pour son Gavroche, le drapeau parachève le tout en flottant au devant de la scène.
Photo © Stéphane Mahé
Un second Crayon guidant le peuple a été photographié dimanche dernier itou sur la place de la Nation à Paris idem, par un photographe indépendant nommé Martin Argyroglo. Il a posté son image sur Twitter, qui elle aussi a été partagée de nombreuses fois.
Photo © Martin Argyroglo
Elle a également fait la une d'un numéro spécial de L'Obs paru le 14 janvier et doté d'un titre au parfum soixante-huitard :
Lequel Obs s'est lancé (voir par là) dans une très fumeuse interprétation de l'image qui en aura fait rigoler plus d'un et c'est tant mieux, on n'a pas souvent l'occasion de rigoler ces jours-ci. Le journaliste tente en effet d'analyser cette photographie en lui appliquant « la suite de Finobacci liée au nombre d'or, lequel a gouverné l'art grec et celui de la Renaissance ». Bon. Non seulement cette grille de lecture ne s'applique pas plus à cette image…
…qu'elle ne s'appliquait à cette photo ukrainienne parue en août dernier dont nous avions parlé par là…
… mais en plus (et c'est là le deuxième effet Kiss Cool) la célèbre suite chiffrée est l'oeuvre de Fibonacci et non de Finobacci. Laquelle permet de réaliser une Spirale d'or pouvant être posée sur à peu près tout et n'importe quoi, et pourquoi pas sur une photo de chaton :
Martin Argyroglo, qui ne peut désavouer le journaliste lui tressant des lauriers, penche toutefois pour un autre rapprochement : « À choisir, je crois que je préfère le parallèle avec le tableau de Géricault. Pour l'idée de résistance qu'il véhicule. »
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André Gunthert, dans un très intéressant article intitulé La défaite Charlie, évoque sa tristesse et son inquiétude quant aux récents événements : «Alors même que la société française glisse peu à peu dans l’anomie caractéristique des fins de système (…), le "pays de Voltaire" ne retrouve le sens de la communauté que face à l’adversité terroriste. Comme l’écrit Daniel Schneidermann : "Elle flageolait, la France. On ne savait plus très bien pourquoi continuer à l’aimer. Depuis avant-hier, il me semble qu’on commence à re-comprendre ce qu’on a à défendre".
On ne sait pas ce qu’on a à faire ensemble, mais on sait contre qui. Le précédent rassemblement d’ampleur comparable, celui du 1er mai 2002 contre Jean-Marie Le Pen, réalisait lui aussi l’"union sacrée" contre un ennemi de la République, réunissant plus de personnes qu’aucune autre cause. »
Sous ces mots, la une de Libération du 30 avril 2002 ainsi que celle du Monde parue lundi :
Photos © Guillaume Herbaut et Stéphane Mahé
Le coup est rude car la photo de Stéphane Mahé, copie conforme de celle de Guillaume Herbaut, perd soudain de sa fougue, de sa grandeur fraternelle et patriotique sur fond de Marseillaise en choeur. Souvenons-nous : après la manif anti-Le Pen de 2002, nous avons dû voter pour Jacques Chirac. De quoi allons-nous hériter après la marche de dimanche dernier où la France s'est bercée de « symboles pour faire mine de retrouver une histoire à laquelle elle a cessé depuis longtemps de croire » ? D'un pays pas si uni que ça, et peut-être de l'abandon (réclamé par la droite) d'un certain nombre de nos libertés dans un Patriot Act à la française avec, joliment collée dessus pour faire passer la pilule, la photo du Crayon guidant le peuple de Stéphane Mahé.
L'occasion de lire ma chronique intitulée Le Concordia, le Titanic et la Méduse.