Le bijoutier de Nice, et les amis de ses amis

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - 0 commentaires

D'abord le nombre, bien entendu. Ces centaines de milliers, ce million et demi de "likes" pour la page Facebook

de soutien au bijoutier de Nice, qui ont fait l'objet de toutes les investigations du week-end. Truqué ou pas truqué, le vote ? Achetés ou pas achetés, les "like" ? Aux dernières nouvelles, il semble que les "like" soient de vrais "like", du vrai soutien de vrais Français de France, et non pas des "like" low-cost, achetés en gros dans des ateliers clandestins asiatiques, comme on l'a un temps soupçonné. Dont acte. Mais la portée du phénomène social de ce week-end dépasse le simple constat du nombre de soutiens à ce bijoutier, qui a descendu, en lui tirant dans le dos, l'un de ses agresseurs en fuite.

La nouveauté, c'est l'affichage public de cet engagement. "Liker" ne coûterait pas grand chose ? Un simple clic qui n'engagerait à rien ? Pas si simple. Les soutiens Facebook au bijoutier de Nice ont agi à visage découvert, au vu et au su de leurs amis Facebook. Il suffit de se connecter sur la page de soutien en question, pour y voir apparaitre les photos de ceux de vos "amis" qui sont aussi désormais amis du bijoutier meurtrier. Et là, comme disait samedi sur Rue89 Blandine Grosjean, surprise ! Car la structure des "amitiés" Facebook fait qu'un certain nombre de vos amis ne pensent pas comme vous. Dans ses "amis" Facebook, on compte des parents, des copains de collège, de lycée ou de boulot, bref un brassage d'opinions et de générations (sinon de milieux sociaux) propre à générer les fameuses surprises du week-end. Je le savais évidemment, que mon ancienne comptable, ou cette lointaine cousine, ne pensait pas exactement comme moi. Je le soupçonnais. Je n'avais jamais creusé la question. Elle saute désormais aux yeux. Du reste, Facebook ne fait que rendre plus visible le phénomène. Beaucoup des soutiens du bijoutier, sans doute, le soutiennent moins qu'ils ne le "comprennent". "Je ne l'approuve pas, mais je le comprends" : qui n'a pas entendu prononcer cette phrase, y compris par des amis en chair et en os, ce week-end ?

Par son ampleur, par la virulence des commentaires, ce soutien est éloquent. Car ils ne soutiennent pas seulement un symbole ambigu, victime et meurtrier à la fois. L'acte du bijoutier de Nice n'est pas un "drame de la légitime défense". Il est dicté par une pulsion de vengeance.De sang froid ? Disons, de sang tiède (les malfaiteurs sont sur le scooter, mais le bijoutier agressé brûle encore de rage, d'humiliation, de douleur peut-être). Le bijoutier tire entre les deux, entre réflexe et vendetta. Dans cet interstice, par où se faufilent tous les malentendus, toutes les ambiguïtés. Evidemment, ce soutien n'est pas l'équivalent d'un vote Marine Le Pen. Les "likeurs" ne disent pas : "je voterai pour elle". Ni même "je comprends ceux qui votent pour elle". Pas encore.

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