LCI censure en direct des dessins humoristiques

Tony Le Pennec - - Silences & censures - 31 commentaires

24h après avoir diffusé le discours raciste d'Eric Zemmour, LCI a censuré les dessins humoristiques du caricaturiste Erwann Terrier, jugés "trop acides". Il avait été recruté par la chaîne pour illustrer en direct les débats du "Brunch de l'info". Nous l'avons interviewé.

Dimanche 29 septembre, LCI consacrait la quasi-totalité de son "Brunch de l'info" à l'hommage populaire à Jacques Chirac. Un brunch que n'a pas digéré Erwann Terrier. Dessinateur de presse et de bandes dessinées, il était convié pour donner son point de vue, en images et en direct, sur les débats en plateau. Sauf qu'en une heure, une seule de ses œuvres a été diffusée (et non "aucune", comme Erwann Terrier le déplorait sur Twitter), les autres dessins se voyant recalés un à un. 

Il faut dire que le style acide de l'auteur, qui officie dans le même rôle chez 28 minutes (Arte), n'était pas celui du plateau. Même pour une journée d'hommage, les journalistes et invités se sont surpassés dans la flagornerie à l'égard de l'ancien président : "Jacques Chirac fait partie de nos vies. J'ai rencontré mon épouse grâce à Jacques Chirac, en distribuant des tracts" (Frédéric Lefebvre) ; "ce que les Français retiennent, c'est son humanité" (Candice Nedelec, cheffe du service politique de Gala) ; "les bras grands ouverts sur les gens, qu'il recevait avec plein d'humour" (Michèle Cotta, éditorialiste) ; "cette proximité avec le monde, cette ouverture aux autres n'était pas feinte, elle était réelle" (Olivier Mazerolle). Quand le journaliste Christopher Quarez nous parle des phrases "qu'on retiendra" de Jacques Chirac, on se dit qu'enfin un peu de critique va s’immiscer dans le débat, en rappelant le tristement célèbre "le bruit et l'odeur". Mais Quarez préfère citer... "Mangez des pommes"

œuvres trappées en direct

Au milieu de toute cette guimauve, Erwann Terrier pensait pouvoir apporter "un contre-poids", indique le dessinateur à Arrêt sur images. Et la collaboration était sur de bons rails. "J'ai été contacté par la présentatrice, Marie-Aline Meliyi, en début d'été. Elle me proposait d'intervenir une fois par mois dans l'émission, sur le modèle de ce que je fais déjà à 28 minutes, sur Arte." C'est-à-dire des dessins, en direct ou préparés à l'avance, sur les thèmes abordés dans l'émission. "J'avais fait une répétition en août, durant laquelle j'ai fait ce que je fais d'habitude, cogner sans ménagement peu importe le sujet, pour tester la liberté que j'aurais sur l'antenne. Et tout s'était très bien passé." 

Quand Terrier arrive sur le plateau pour sa première, les choses ne se passent pas de la même manière. Au moment du tour de table pour présenter les invités, la présentatrice Meliyi était censée lui demander de présenter un dessin sur un sujet d'actualité de son choix. "J'avais choisi de parler du dernier rapport du GIEC, avec un dessin montrant des éditorialistes crachant sur Greta Thunberg. Mais la présentatrice, découvrant le dessin en direct, tire la tronche et me présente... sans montrer mon dessin." 

Par la suite, le débat se déroule sans que, durant 40 minutes, un seul dessin de Terrier ne soit diffusé, et sans même que le dessinateur n'apparaisse à l'écran. "Je dessine sur mon iPad, explique  le caricaturiste. La présentatrice voit défiler mes dessins et doit me faire un signe quand l'un d'eux va être diffusé." Mais aucun signe ne vient. Les œuvres sur l'incendie de Rouen et sur le budget 2020, préparées la nuit précédente, passent à la trappe. 

"Ce dessin, il ne passera pas" 

Finalement, un dessin sur Chirac est diffusé quelques secondes. "Mais on ne m'a pas donné la parole pour que je le commente ou l'explique, comme pendant la répétition, comme à 28 minutes, et la présentatrice n'a pas demandé aux invités de rebondir dessus, donc ça ne sert à rien", fulmine le dessinateur. 

Ensuite, le débat se déporte sur la Convention de la droite, très largement couverte la veille par LCI, dans laquelle est intervenue une bonne partie du gratin de l'extrême droite française. Sur son iPad, Erwann Terrier dégaine alors son dernier dessin, représentant Marion Maréchal effectuant un salut nazi. 

"Sur le plateau, je vois Marie-Aline Meliyi faire la gueule, et la régie me dit dans l'oreillette « Ce dessin, il ne passera pas ». Sur mon iPad, je tape alors « Soit le dessin passe, soit je m'arrête là ». La personne me parlant dans l'oreillette me dit qu'elle va en parler à son rédacteur en chef, et 10 minutes plus tard, me confirme que le dessin est refusé." Le dessinateur arrête alors de proposer des dessins, attend 11 h, quand il était convenu que sa prestation s'arrête, et quitte le plateau. Du point de vue du téléspectateur, son départ passe inaperçu : il n'est pas filmé en partant, personne ne lui dit au revoir. 

humour versus zemmour

Après cela, Erwann Terrier contacte la chaîne pour demander des explications : "Ils m'ont dit que dans le contexte de l'hommage à Jacques Chirac, mes dessins n'étaient pas adaptés, qu'ils étaient "trop acides". Sur le fait que je n'ai pas eu la parole pour expliquer mon seul dessin diffusé, on m'a répondu que LCI était une chaîne d'info en continu, qu'on n'avait pas le temps de développer. Alors qu'ils ont donné trois fois la parole à leur envoyée spéciale présente pendant l'hommage à Chirac pour expliquer qu'il commençait à pleuvoir..." Pour finir, la chaîne lui signifie qu'elle se passera désormais de ses services. "De toute façon, dans ces conditions, je n'y serais pas retourné", commente Terrier, avant de conclure : "Ce qui m'énerve surtout c'est cette autocensure, cette pudeur de gazelle pour des dessins humoristiques, alors que la veille, ils diffusaient en intégralité le discours apocalyptique de Zemmour." 

Contactée par Arrêt sur images, LCI n'a pas donné suite à notre demande d'entretien avant publication de l'article. 

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