"Laprime", ou comment l'appeler ?

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Soyons justes: il ne reste pas seulement Mougeotte. Il reste aussi Elkabbach.

Il restera jusqu'au bout, grand chambellan des intox, chorégraphe des fumigènes et, en l'occurence, chevalier de l'Ordre de "laprime". Car "laprime" fait les gros titres. Elle déploie ses chatoyants attraits aux radios du matin (Lagarde chez Aphatie, et donc Bertrand chez Elkabbach. France Inter a un mot d'excuse: ils sont à Toulon pour la journée). Elkabbach: "elle touchera donc au-delà des entreprises du CAC40 ?" Bertrand: et comment ! Elkabbach: "ça peut même être davantage que mille euros ? 1200, 1300, 1500" ? Silence gêné de Bertrand, qui réalise peut-être qu'il ne faut pas trop en faire. Affirmer (contre toute vraisemblance), que 8 millions de salariés sont concernés, passe encore. Mais le montant...

A noter, pour les esthètes, l'imperceptible gêne d'Elkabbach et Aphatie, les deux intervieweurs matinaux des principales radios privées. Même virtuelle, même pour la galerie, cette agression symbolique législative contre la toute-puissance, l'omniscience patronale, a du mal à passer. On les sent tiraillés, entre les réflexes de quatre ans de soumission à l'agenda sarkozyste, dont on ne se débarrasse pas en deux secondes, et le sacrilège anti-MEDEF que constitue "laprime". Aphatie taquine donc Lagarde: alors comme ça, vous trouvez que les entreprises sont égoïstes, et pas capables de partager seules les bénéfices ? Silence embarrassé de la ministre. Elkabbach, à Bertrand: c'est vraiment à l'Etat, de faire la loi dans les entreprises? Bertrand: "le gaulliste social que je suis..." Très fort, le coup du "gaulliste social". Ca resservira.

En tout cas, les titreurs de presse ont dû changer leur fusil d'épaule. Exit "laprimedemilleeuros" des premiers jours. Place à "laprimeauxsalariés". C'est un tout petit peu moins faux. Mais c'est encore évidemment faux. Le comble étant le site du Monde, qui publiait voici quelques jours un remarquable article, d'où il ressort que seuls quelques milions de salariés, dans le meilleur des cas, pourraient être concernés (entre un et trois millions, soit 10% au maximum de la population active). Et vlan, deux jours plus tard, comment est titré l'épisode du jour ? "Laprimeauxsalariés", évidemment. Ah oui, objecterez-vous, mais alors que doivent-ils faire, les malheureux titreurs de presse ? "Laprimeà10%dessalariés"? "Laprimequidiminuetouslesjours" ? A vos suggestions...

PS: à propos de Mougeotte et de calculs, Le Canarda fait les siens, de calculs, sur "laprime" que touchera Liliane Bettencourt, à l'issue des refontes fiscales en cours, dont je vous entretenais hier. Apparemment, elle n'aura pas trop de raisons de se plaindre. Dommage, vraiment, que Mougeotte ait oublié la question.

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