La déclaration d'amour de Quatremer (Libé) à Trichet
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesCe n’est plus un éloge ni une déclaration d’amour que fait Jean Quatremer à Jean-Claude Trichet dans le supplément week-end de Libération, c’est quasiment un dithyrambe !
Quelques jours après le départ du président de la Banque Centrale Européenne (BCE), le correspond de Libé à Bruxelles dresse un portrait plus que flatteur de son héros, un Trichet aujourd’hui "mélancolique", craignant que l’euro ne survive pas à son départ. C’est simple : l’euro, c’est lui.
"Nul ne conteste qu’il est le sauveur de la zone euro, et plutôt deux fois qu’une", écrit Quatremer, qui rappelle que "c’est lui qui a converti une partie de la classe politique française à une gestion économique plus rigoureuse". D’ailleurs, pendant la crise de 2008, "en vacances dans sa maison de Saint-Malo, Trichet est le seul au monde à comprendre la nature de la crise". Mais ce n’est pas tout : "C’est dans sa gestion pragmatique de la crise de 2007 qu’il a donné toute la mesure de son talent. En lançant la BCE dans le rachat des emprunts d’Etat les plus attaqués par les investisseurs sur le marché secondaire, celui de la revente, afin de faire baisser les taux d’intérêt." Ouf. Et vous savez pourquoi il est si fort ? Parce qu’il n’a que des talents : Trichet est un homme "poli", "pugnace", "pragmatique", "pédagogue" et surtout "Européen convaincu", très grande qualité chez Quatremer.
D’où vient cette passion ? Quatremer nous livre cette confidence : "Pendant vingt-et-un ans, j’ai croisé cet homme dans chacun de ses postes (gouverneur de la Banque de France, puis président de la BCE), en petit comité ou en tête-à-tête. Ça crée des liens." Leur première rencontre a lieu en décembre 1990. Quatremer vient de publier un article sur l’Europe, et Trichet, alors directeur du Trésor, lui propose de venir dans son bureau : "Sourire avenant, costume impeccable, il s’exprime calmement, choisissant soigneusement ses mots (…) Au cours de la conversation, il découvre l’étendue de mes lacunes économiques, encore une «exception» très française… Pédagogue, et sans l’ombre d’un mépris, il me donne, plus d’une heure durant, mon premier cours de politique économique et monétaire. Ce ne sera pas le dernier."
Pour mémoire, Quatremer avait déjà publié, le 6 mars 2008 dans Libération, une "adresse affectueuse au président de la Banque centrale européenne". Là, le titre était encore plus explicite : BCE mon amour.
Pas une seule fausse note ne vient émailler ce beau portrait. Pourtant, sans même aller jusqu’à rappeler l’épisode du Crédit Lyonnais (Trichet fut mis en examen en 2000 puis relaxé trois ans plus tard), Quatremer aurait pu se faire l’écho des réserves faites sur la politique menée par l'ex-patron de la BCE. Et il y en a, des réserves ! Pour les connaître, il faut lire par exemple un article de Challenges, qui donne la parole aux pros et aux anti-Trichet.
Parmi les pros on trouve le Wall Street journal : "Il est trop tôt pour savoir si M. Trichet a sauvé l'euro, mais il ne fait aucun doute qu'en essayant de le faire, il fait de la BCE une institution plus politique, moins indépendante", ou encore l’économiste libéral Jean-Marc Daniel : "il a répondu à la crise du système bancaire de 2008-2009 en assurant la liquidité grâce à sa coordination avec la Banque d'Angleterre et celle des États-Unis à une époque où la classe politique était plutôt dans le désarroi."
Du côté des anti, on peut entendre Patrick Artus, directeur des études de Natixis, qui dénonce "les erreurs d'analyse de Trichet qui ont fabriqué la crise actuelle." Pourquoi ? Artus explique : "D'abord, il a cru que la zone euro était une machine à créer de l'homogénéité, que tous les pays convergeraient vers la même économie. Or il s'est passé l'inverse. Car une union monétaire, en faisant disparaître le risque de change, entraîne la spécialisation productive des pays. Le Nord s’est industrialisé davantage, le Sud s’est désindustrialisé. Ensuite, la BCE a été une piètre prévisionniste. Elle a monté ses taux d’intérêts en juillet 2008, six semaines avant la chute de Lehman Brothers. Et elle a recommencé en juillet dernier !"
Sur notre plateau, où Quatermer était venu parler de la crise et de l'Union européenne, sa passion pour Trichet était moins éclatante...